Revue de presse (s.47)

Sur la désillusion face à l’exercice du travail salarié : prendre le risque de partir ou celui de rester ?

Extraits.

« Plus que jamais, il faut que les salariés acceptent de jouer le jeu d’un engagement très fort, d’un investissement dans compter ou presque dans l’entreprise. Pour que cette dernière dans la course, c’est la posture du « tous sur le pont » [Eugène Enriquez, 1997] qui s’impose. Or voilà justement que l’engagement des salariés vacille.

[…]

Hier individus au destin écrit à la naissance ou presque […], ils sont aujourd’hui des individus contemporains plus libres mais aussi sommés de « s’inventer » [Jean-Claude Kaufmann, 2004], de trouver qui ils sont et plus encore de réussir leur vie. Un travail de construction identitaire difficile, « fatigant » [Alain Ehrenberg, 1998] qui dure tout au long de la vie et dans lequel le travail continue de tenir une grande place.
Dès lors, ces hommes et ces femmes opèrent constamment des calculs dans leur relation à l’emploi : oui à un engagement fort dans mon travail si celui-ci s’avère payant en terme d’estime de moi et de construction identitaire. Dans le cas contraire, la tentation du retrait n’est pas loin. Ce retrait peut se manifester de plusieurs manières. Certains optent pour des solutions extrêmes, décidant de tout plaquer et de « changer de vie. »

[…]

Mais ne nous trompons pas, ce retrait complet, total de la grande organisation n’est pas le plus courant. Renoncer à un revenu régulier […] n’est pas à la portée de tous.

[…]

Non, pour le plus grand nombre, le retrait se vit de l’intérieur. Être désengagé tout en restant dedans. Faire « comme si » mais ne plus y croire.

[…]

Ces « retirés » se font discrets (…), sans bruit, se débrouillent pour ne pas se retrouver sur les projets les plus prenants, les plus exigeants. Ils s’arrangent pour ne pas être mutés. Rester là où ils sont le plus tranquillement possible. Le désengagement professionnel de ces individus ne signifie pas qu’ils ne font pas correctement leur travail (cela se verrait) mais plutôt qu’ils sont sans illusions ni aspirations trop importante quant à leur avenir professionnel. Ils sont là. Ils restent là. Leur devise pourrait être : « Ne pas faire de vagues ».

[…]

Heureux ou aigris, l’existence de ces désengagés de l’intérieur ne peut à terme rester sans effet sur la performance et de dynamisme des organisations. »

In Des salariés désengagés de l’intérieur, J. Ghiulamila, Les Grands Dossiers des Sciences Humaines n°12, Septembre-Octobre-Novembre 2008, p.48-49

Revue de presse (s.35)

Sur le travail artistique observé par les ethnologues, extraits de l’introduction du n°113 de la revue Ethnologie française.

« Le travail artistique est un objet difficile à saisir, encore peu étudié malgré le fort attrait qu’il suscite dans notre société. Souvent placé sous le registre de la « vocation », il échappe aux analyses classiques des sciences sociales. Empreint de sentiments passionnés et d’implications subjectives dans l’accomplissement de l’œuvre, il ne facilite guère la distanciation. Dans la mesure où il est plutôt fluide, fuyant et parfois même solitaire, le travail artistique rend difficile la reconstitution de ses principes collectifs d’action, que la question soit posée en termes de « mondes de l’art » [Becker, 1982], de « champ artistique » [Bourdieu, 199] ou de « médiation » [Hennion, 1993]. »

« Le travail artistique comme activité collective.
« … du fait de son caractère éclaté, valorisant l’acte unique, faisant souvent l’objet de stratégies de déni de son caractère organisé, hiérarchique et parfois conflictuel, le travail artistique est difficile à saisir dans ses dimensions collectives.
..
La valorisation de l’inspiration individuelle, de l’unicité de l’œuvre et du registre de la vocation [Heinich, 2005] tend aussi à masquer ce que des recherches empiriques identifient sans cesse : les ressorts collectifs, tendus, conflictuels de l’acte créatif . »

« Accéder au cœur de la création artistique.
« …Le repérage des sensations, des ressentis ou des stratégies pour masquer les réalités du métier peut nécessiter une expérience directe de l’activité artistique par le chercheur [Buscatto, 2005]. Magali Sizorn, en se mettant « dans la peau » des trapézistes, a entendu, « vu » et ressenti les manières dont se construisent les corporéités des circassiens. Le trapèze évoque légèreté et grâce, image savamment entretenue par les trapézistes à travers leurs sourires et leurs paroles enthousiastes. Mais son expérience directe de la trapézie a mené l’auteure à identifier leurs stratégies pour déjouer les douleurs, les blessures, les peurs, pour faire taire leurs sensations négatives, autrement dit pour mettre au jour les contraintes exercées sur les corps afin de les dompter dans le sens artistique visé. »

Le travail artistique est rarement regardé « de l’intérieur », du point de vue de ceux et de celles qui s’y consacrent au quotidien, dans la durée, souvent de manière peu visible. C’est l’enquête par observations qui permet d’y parvenir. »

« De l’idéal artistique au travail « ordinaire ».
« …Que se passe-t-il encore pour les artistes lorsqu’ils et elles réalisent des interventions dans des mondes aux logiques a priori étrangères aux réalités artistiques ? Selon les observations menées par Jean-Paul Filiod, les artistes intervenant dans des écoles maternelles voient leurs identités, leurs compétences, leurs savoirs se diversifier, se complexifier, se brouiller par le seul contact avec ce territoire professionnel nouveau. Toujours artistes dans leur esprit, plutôt pédagogues dans leurs actes, les trajectoires et les définitions de soi se multiplient entre investissements identitaires et renégociations des définitions de leurs actes professionnels. »

In L’art au travail, L’art et la manière : ethnographies du travail artistique, M. Buscatto, Ethnologie française, N°113, 2008/1, Introduction, p.5 à 13,

Le Centre Logistique

Dispositif installé par Catherine Gier au Syndicat Potentiel de mai à décembre 2008.

Cet espace de travail ouvert au public et activé par l’artiste chef de projet se compose d’1 estrade, de 6 tableaux d’affichage, de 23 boîtes-archives et du bureau OPA.

Le bureau OPA
Exposé dans la salle sous verrière, il accueille les bureaux des 3 artistes animant le Syndicat Potentiel.

Les tableaux d’affichage
Sur les six tableaux d’affichage - tableaux blancs magnétiques - sont affichées chaque semaine les restitutions des artistes en cours d’immersion. Ces 6 tableaux sont actualisés chaque semaine. Chaque artiste actualise également son propre tableau accroché dans son organisation d’accueil.

Les boîtes-archives
On y retrouve les restitutions des semaines passées, classées chronologiquement, pour chacun des artistes participant au projet. Ces archives peuvent être consultées par le public pendant les heures d’ouverture du bureau.

Motivation : Catherine Gier

« Artiste recrutée dans le cadre du dispositif Précaritas, la problématique du travail, de son organisation, de sa gestion et de son impact sur nos vies est au cœur de ma pratique artistique.

Animer et développer le programme d’interventions d’artistes dans des entreprises et institutions publiques de la Région Alsace que se propose de lancer le Syndicat Potentiel s’inscrit dans ma démarche. Coordonner le programme OPA me permet aussi de mettre en œuvre et à l’épreuve mes convictions personnelles que recouvrent les enjeux et objectifs de l’action.

Je suis ainsi convaincue :
- de l’intérêt pour les artistes plasticiens de travailler en réseau et de mutualiser leurs expériences.
- de l’intérêt pour la société d’accueillir les artistes et leurs créations dans tous les lieux où les hommes se rencontrent pour élaborer ensemble en vue d’atteindre un objectif commun.
- de la nécessité d’expérimenter la richesse des formes produites par le travail d’un artiste plasticien en relation avec un contexte et une situation donnés.
- de la nécessité de ne pas attendre de l’Etat qu’il assume seul la survie des artistes au risque d’un interventionnisme niveleur, mais de son nécessaire soutient des démarches artistiques innovantes tant dans la rémunération du travail de l’artiste que dans les formes qu’il produit.
- de la pertinence de ne pas limiter les débouchés pour la création artistique au seul marché de l’art et d’inscrire l’artiste dans le champ élargi de l’économie, non pour l’instrumentaliser, mais pour mettre en œuvre sa compétence spécifique, son potentiel inéprouvé et offrir ainsi de nouvelles ressources à l’artiste plasticien et aux entreprises travaillant en relation avec lui.
Il s’agit donc pour moi, en manageant le projet OPA, de défendre un point de vue sur la place de l’artiste dans le monde contemporain et d’apporter mes compétences au Syndicat Potentiel. Compétences artistiques d’invention, d’imagination mais aussi compétences de vente, de gestion de projets et d’organisation d’événements acquise sur le terrain de l’entreprise (vendeuse et assistante de direction intérimaire aux Galeries Lafayette, chargée de communication pour une agence d’architecture et d’urbanisme, chargée de mission pour l’Association Architecture et Maîtres d’Ouvrage Alsace-Lorraine-Franche-Comté), mises à profit depuis 2004 pour mener à bien mes projets artistiques (Archivage chantier, Méridienne+Hélices, Actions contemplatives). »

Pistes de travail : Delphine Rigaud

- Organisations des postes de travail (photo et/ou dessin)
- Architecture du lieu physique de l’entreprise : différences entre les lieux dédiés aux différentes tâches/fonctions de l’entreprise. (Dimensions, déco, vocabulaire visuel identifié…)
- « Travailleurs de l’ombre » : personnel d’entretien, livreurs, gardiens de nuit, remplisseur de machine à café… Montrer le hors champs, le hors temps de l’entreprise. (Action documentée par vidéo, enregistrements sonores, photos)
- Notions de contraintes tacites ou explicites. (dessin, graphiques…)
- Lieux « off » du bâtiment : les endroits où personne ne va jamais, où la production est zéro (photo, repérage sur plan, édition d’un plan de visite).
- Les temps charnières : passages/ moments où l’individu passe du statut de particulier lambda à celui d’employé de l’entreprise : entrée & sortie d’usine, changement de tenue, pointage… (vidéo, photo)
- Dans le cas d’une immersion dans une entreprise dont l’activité est immatérielle (entreprise de services), quelle est la masse de résidus matériels produite ?
- Question du temps de l’entreprise : comment le rendre lisible autrement qu’avec une horloge ? Qu’est-ce qui rythme l’activité ?

Définition - point de départ

OPA n.f.inv. – v. 2007 ; sigle de Offre Publique d’Art, Opération de Participations Artistiques, Organisations Prototypes Aléatoires. Opération consistant à faire intervenir des artistes plasticiens dans des organisations humaines (entreprises, administrations, etc.) pendant plusieurs semaines, cofinancée par des subventions et du mécénat. Il s’agit de tenter d’entrouvrir des espaces-temps culturels dans la réalité socio-économique d’une entreprise, de soutenir des formes d’art qui apparaissent là où on les attend pas, d’observer comment ces formes d’art peuvent enrichir au quotidien le personnel et les visiteurs de l’organisation accueillant l’artiste.

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Pistes de travail : Alice Retorré

- La satisfaction de la clientèle, le caprice comme facteur d’innovation (sculpture)
- La virilité, de la puissance de travail (dessin)
- Travail d’équipe et force de travail (parodie de cinéma)
- Le cv, les parcours de vie, les biographies, (écriture)
- La compétence ou l’incompétence, la pluridisciplinarité (action)
- Le travail comme jeu, comme épreuve, comme exutoire. (installation, vidéo)
- La fonction et de l’uniforme: l’habit fait le moine. (art textile)
- Interroger le rapport Tradition /innovation (danse?)
- Le décor et l’ornementation: la dépense de temps comme symbole de richesse (dessins peinture, sculpture)
- Nature/Civilisation ( peinture ou action)
- L’architecture du lieu de travail et ses symboles (sculpture)
- La signalétique, la circulation dans l’entreprise (dessin)
- L’organisation, les dossiers, les couleurs, les graphiques (installation)
- Des objets produits par l’entreprise, (sculpture)
- La représentation du paysage (peinture)
- Portraits du personnel (peinture, chorégraphie)
- Portrait de l’artiste au travail (vidéo)
- Le rapport entre la vitesse, la quantité des mouvements et la productivité
- L’ordre et le désordre (sculpture ou action)