Revue de presse (s.40)

Au sujet de Dump, installation de Christoph Büchel au Palais de Tokyo pendant l’exposition Superdome (29 mai au 24 août 2008).

Extrait.

« La force de l’œuvre de Christoph Büchel, et ce par quoi elle est pleinement artistique, réside dans la manière dont, esthétiquement, elle rend visible cette condition humaine et nous la fait éprouver.

L’artiste a conçu un dispositif formel et établi des protocoles de façon à mobiliser les yeux (par la richesse et la justesse des détails) et à impliquer le corps des visiteurs dans une expérience dont l’intensité physique et émotionnelle était productrice de sens.

Faire voir avec les yeux et expérimenter avec le corps pour faire éprouver et rendre concevable et palpable une réalité si proche et si étrangère, voilà ce que, mieux que toute autre pratique, peut l’art à la croisée du sens et de la sensation.»

In Art, sens et sensation, A. Rouillé, Editorial N°249, ParisArt, 2 octobre 2008

Ça produit quoi, une immersion ? Quelques éléments concrets de réflexion.

Les retours des personnes accueillant les deux premières artistes en immersion : Marie Bouts chez Arte et Julie Vayssière chez Gstudio sont positifs, enthousiastes même.

Mon vécu de l’intérieur, à la fois en tant qu’organisatrice et qu’artiste impliquée, de l’intervention d’Interim chez Arte m’a également permis de valider le présupposé de départ d’OPA : l’intérêt de la contamination d’une organisation humaine tant pour l’artiste que pour l’entreprise qui devient son terrain d’observation, d’étude, d’invention, d’imagination. Les effets de la présence d’un artiste sont multiples : questionnement sur le quotidien et la réalité de l’organisation investie, déplacement et effet miroir de la pratique de travailleur, bouleversement des habitudes, introduction d’énergie, d’air, d’enthousiasme, d’éphémère, de révolte, de poésie dans des logiques de productivité, de gestion, du geste nécessaire et utile. Multiplication des sourires francs sur les visages, jour après jour. Sensation d’une modification du battement interne de l’entreprise, accélération, due aussi au nombre d’artistes intervenant ensemble au sein de l’entreprise, en « commando ».

Poursuivre le projet OPA, c’est mettre à profit toute l’expérience acquise dans le cadre du projet d’intervention d’Interim chez Arte, de l’immersion plus longue en ces mêmes lieux de Marie Bouts, pour convaincre d’autres organisations de sauter le pas, de se lancer.

C’est permettre à l’art d’investir d’autres champs que ceux qui lui sont habituellement dédiés : le musée, la galerie, pour inventer de nouvelles règles de développement de l’activité artistique en relation avec la société, de nouvelles modalités de rémunération des artistes, non pour la seule production d’objets mais pour le libre jeu de leurs facultés de création au sein d’un organisme exogène, pour créer de nouveaux usages dans la diffusion de l’art dans la société et espérer ainsi multiplier les débouchés professionnels pour les artistes à côté du marché de l’art conventionnel, c’est réaliser l’utopique et souhaitable confusion de l’art et de la vie dans un temps d’activité essentiel et problématique pour une majorité d’êtres humains.

C’est enfin créer des situations nouvelles et exemplaires,  à partir desquelles réfléchir sur les modalités du fonctionnement du monde du travail, interroger la fonction de salarié et d’indépendant, mettre en perspective les limites et les risques de chacune de ces postures à l’échelle globale de la société. Regarder un artiste œuvrer dans une entreprise : grain de sable ou eau apportés au moulin de l’entrepreneur et du système qu’il a bâti, divertissement ou remise en question de ses employés et collaborateurs ?..

Olivier Greder

Olivier Greder est architecte-concepteur, il est diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg en 1997.
Dans sa vision, il considère que la forme du monde artificiel est très éloignée des besoins réels présents et à venir et se consacre à la ré-actualisation des modalités d’engendrement de l’architecture. Il propose notamment le concept “d’architecture-matière première” pouvant se tenir ouverte à l’imprévu et disponible pour muter.

Durant ses études, Olivier Greder fonde le groupe Greenobyl avec des complices de l’école qui, jusqu’en 2000, participe à des concours d’idées. Le groupe est primé à un concours pour la reconversion de l’Ile du Gouverneur à New York en 1996 et sera appelé à participer à la Biennale d’Architecture de Venise en 2000 sous la direction de Massimiliano Fuksas.

En 2001, à son retour des Pays Bas, Olivier Greder fonde avec Emmanuelle Rombach et Michaël Osswald l’agence d’architecture G.studio à Strasbourg, pour avoir cette fois une influence sur la réalité construite.

Avec G.studio, il réalise depuis des bâtiments expérimentaux qui interrogent les modes de production et les fonctions de l’architecture.
Il collabore régulièrement sur des projets avec des artistes plasticiens et créateurs d’autres disciplines.

Au début des années 2000, il suit de près les travaux du collectif LundiMatin auprès duquel, il fera une intervention à l’Ecole Flottante sur le thème de « l’espace de la contre partie ».
Avec le plasticien Yves Koerkel, il concevra la scénographie d’une installation à la Galerie Stimultania en décembre 2004 et la réalisation du « Repli de Papier » pour la styliste Marie Labarelle à Paris en avril 2007.
En décembre 2005, il participe avec G.studio et Luca Merlini au Festival des Urbaines à Lausanne dans la performance du « Zoo des architectes ».
Depuis 2006, il est enseignant vacataire en atelier d’architecture à l’INSA de Strasbourg.
Il est intervenu en mars 2008 à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Malaquais, sur le thème « des extrêmes du projet » dans le studio de Luca Merlini.

Aujourd’hui il participe au projet Ordos100 en Chine avec G.studio et le collectif Encore Heureux, aux côtés de 99 autres agences internationales recommandées par l’architecte Jacques Herzog (de l’agence Herzog et de Meuron) et orchestré par l’artiste architecte Ai Wei Wei.

Paul Ardenne

Paul Ardenne est agrégé d’Histoire et Docteur en Histoire de l’Art, critique d’art et commissaire d’exposition français, dans le domaine de l’art contemporain. Il enseigne à l’Université d’Amiens. Il est l’un des spécialistes français les plus avertis de l’art d’aujourd’hui (esthétique, art vivant, architecture, art et politique).

Extrait
« Un art dit « contextuel » regroupe toutes les créations qui s’ancrent dans les circonstances et se révèlent soucieuses de « tisser avec » la réalité. Une réalité que l’artiste veut faire plus que représenter, ce qui l’amène à délaisser les formes classiques de représentation (peinture, sculpture, photographie ou vidéo, lorsqu’elles sont utilisées comme uniques formules d’exposition) pour leur préférer la mise en rapport directe et sans intermédiaire de l’œuvre et du réel. Pour l’artiste il s’agit bien de « tisser avec » le monde qui l’entoure, de même que les contextes tissent et retissent la réalité. Loin de n’être qu’une illustration et une mise en figure des choses, loin de ne parler que de lui-même dans une démarche tautologique, loin de faire de l’idéal sa religion, l’art s’incarne, enrichi au contact du monde tel qu’il va, nourri pour le pire ou le meilleur des circonstances qui font, défont, rendent palpable ou moins palpable l’histoire.[…] Ce souci de vigilance, on s’en doute, n’est pas de nature paranoïaque, au sens où l’artiste pourrait craindre d’être le jouet d’une situation. Une telle attention atteste plutôt d’une prise de position résolue. La réalité, dit l’artiste revenu de la tentation de l’idéal ou du formalisme, c’est aussi mon affaire »

in P. Ardenne, Un art contextuel, Flammarion, 2002, p. 17-18.

Motivation : Delphine Rigaud

«Travailler en tant qu’artiste au sein d’une entreprise serait un moyen d’être en prise directe avec la « réalité » du monde du travail, mettre en résonance deux logiques de travail, celle de l’artiste et celle de l’entreprise, pour une finalité commune.

Pour mon travail en général, ce type de contexte me permettra de partir d’une réalité objective, indépendante de mon seul choix. Le caractère organisé et planifié du travail en entreprise m’intéresse et serait potentiellement une base de réflexion. La multiplicité des compétences réunies pour un but commun a déjà été traitée à l’occasion de la pièce «Génériques» que j’ai créée en 2006 et continue de m’occuper l’esprit.

Travailler dans une entreprise en tant qu’artiste : amener de l’art là où il n’y en a pas à priori, pour et avec l’entreprise, qui elle, fait ce choix d’ouverture.

Déplacer le travail quotidien des employés, pour ouvrir sur une dimension « poétique ou poétisée ». Montrer la part de poésie, le potentiel de création que comporte une fonction aussi pragmatique soit-elle en apparence.»

Précaritas, un tournant pour le Syndicat Potentiel

L’autre n’est pas en moi
je ne suis pas en lui
il est juste quelque part
où j’ai été aussi une fois.

En 2007 le Syndicat potentiel a mené l’action Précaritas et par ce biais a posé, de façon pertinente, la question, de la place de l’artiste dans la société. Partant du constat que les modes classiques de diffusion (galerie, musée, centre d’art…) que proposent la plupart des organismes, dont l’objet est la promotion de l’art, ne correspondent plus tout à fait à la réalité qui fait le quotidien des artistes d’aujourd’hui tant sur le plan économique que plastique.

En effet, en employant des artistes qui étaient au RMI ou en situation précaire alors qu’ils avaient une réelle pratique, un vrai travail, l’association a souhaité aller au-delà d’une réponse qui se résumerait à la mise à disposition de surface d’accrochage, en prenant en compte la situation sociale et économique des artistes dont elle aurait la charge. L’utilisation de contrats aidés (CAE, CAV) a été une alternative qui a permis à 5 artistes d’être reconnus pour leur pratique, de sortir de leur précarité, de poser la question de la rémunération du travail artistique ou immatériel, et de proposer au public (à travers le blog) une vue sur le fonctionnement quotidien des artistes.

Ainsi l’action Précaritas se présente comme un tournant pour l’association qui s’est formulé entre autre durant la résidence formation de Niederhaslach (A travers champs) qui a eu lieu au mois d’août 2007 et dont le but était de réfléchir sur les contextes pouvant accueillir l’art. Face aux questions soulevées par les participants et les discussions avec de multiples partenaires, il apparaît inopportun, pour ne pas dire impossible, pour le Syndicat potentiel, de revenir à un fonctionnement qui ne prenne pas en compte la situation économique des artistes et qui ne cherche pas de nouvelles possibilités spatiales, de publics, de partenaires et de financements.

Il ne s’agit pas ici de faire le bilan de Précaritas qui ne se termine qu’en fin décembre, dont les répercussions ne sont pas encore vraiment visibles ou quantifiables et pour lequel une publication est prévue mais plutôt de concevoir une suite pour le fonctionnement des années avenirs. Nous savons néanmoins que nous ne reproduirons pas la formule des contrats aidés qui malgré ce qu’elle a permis reste une proposition précaire et préférons aussi que Précaritas garde sa singularité en tant qu’expérience symbolique et artistique unique.

Alors même que Précaritas n’est pas terminé, et en son sein, nous évoquons le projet OPA qui émane de la même volonté de trouver de nouveaux terrains pour une pratique artistique en phase avec le monde environnant et actuel, mise en place d’espaces contingents, de temps humain non systémique et d’acte subjectif dans la matière organisationnelle des fonctionnements de société.
Si, à l’échelle de notre monde, tout semble plein à tous les niveaux de ce qui nous est donné d’appréhender, de penser, cela ne veut pas dire, pour autant, qu’il n’y a plus de place libre. Certes, ce ne sont peut-être pas des terrains inexplorés, non foulés comme il y en avait encore dans la forêt amazonienne il y a quelques temps mais plutôt des terrains à débarrasser, à rendre vierges, à rendre neutre de tous prépensés qu’ils provoquent. Recréer en recyclant le surplein.

Francis Guerrero