BILAN OPA : ELEMENTS DE REFLEXION PERSONNELS

Au terme du développement actif d’OPA (Offre Publique d’Art) des questions se posent, non sur la pertinence de l’immersion d’un artiste au sein d’une entreprise, mais plus sur les modalités de mise en place d’un tel programme.

Artistes en entreprises : un pari impossible ?

Comment se fait-il que sur quarante-sept entreprises auxquelles le projet a été présenté, seules deux d’entre elles aient accepté d’accueillir un artiste en immersion au sein de leur entreprise, leurs locaux, parmi leurs personnels ?

Un chef d’entreprise peut-il assumer le risque de faire intervenir un artiste au sein de son établissement, sans savoir à l’avance ce que celui-ci va produire, si cette production sera de son goût ni même s’il produira quoi que ce soit, éventualité admise par le programme ?

Si la relation entre les mondes de l’art et de l’entreprise « ne va pas de soi » nous dit Clément Bastien, étudiant en sciences politiques qui termine une étude sur « Les investissement des entreprises alsaciennes dans le domaine artistique » commanditée par le Medef du Bas-Rhin, la méconnaissance de l’art contemporain par l’entreprise est-elle un frein à l’immersion d’artistes au sein d’organisations ?

Faire connaître l’art contemporain et ses formes

Il est indéniable, et je l’ai constaté lors de mes entretiens avec des dirigeants, que les formes processuelles produites par l’art contemporain et en interaction avec un spectateur agissant, celles auxquelles recourent les artistes membres de l’équipe OPA, que je présentai à mes interlocuteurs (performances, dispositifs participatifs, actions, modélisations dessinées à partir de données récoltées, films vidéo) n’étaient pas connues d’eux. Ces formes les ont parfois décontenancés mais plus souvent surpris, étonnés, interpelés. Certains ont entrevu des possibilités d’actions avec leurs personnels, d’autres ont craint pour la confidentialité de leurs données, certains y ont vu un moyen d’intervenir sur des problématiques sourdes de leur entreprise, d’autres ont estimé qu’il n’y avait rien à faire d’intéressant dans une usine pratiquant les 3/8, certains se sont dit qu’insuffler de l’art dans le quotidien de leurs collaborateurs ne pouvait qu’être positif, d’autres ont pensé que leurs chauffeurs n’accepteraient pas d’accueillir un artiste dans leur cabine… La plupart a demandé à être tenu au courant « de la suite », des actions réalisées, « pour voir ».

Une médiation autour de l’art contemporain en direction du public des entrepreneurs apparaît donc essentielle. Pour qu’il y ait passage à l’acte, il semblerait qu’il faille que le décideur connaisse l’artiste ou au moins les formes d’art qu’on lui propose d’accueillir mais aussi qu’il parvienne à envisager qu’une expérience artistique puisse se dérouler dans son environnement professionnel. Pour les deux organisations qui ont accueilli des artistes en immersion ces conditions étaient réunies.

Il est compréhensible qu’un futur commanditaire ait besoin d’être rassuré sur le professionnalisme de l’artiste qu’il envisage d’accueillir. Les références d’un artiste, ses publications, sa revue de presse me semblent autant d’arguments à même de convaincre un chef d’entreprise de lui ouvrir les portes de son établissement. L’appui d’intermédiaires, experts de l’art contemporain, directeurs de centres d’art ou entreprises de conseil art et management peuvent également contribuer à donner des repères et une certaine forme de garantie au chef d’entreprise dans la pertinence de son choix s’il en ressent le besoin.

Une nécessaire rencontre entre deux désirs

Ces critères « rationnels » d’appréciation ne sont pourtant pas suffisants. L’immersion d’un artiste au sein d’une entreprise ne peut avoir lieu que dans la rencontre entre deux curiosités, deux désirs d’ouverture, de questionnement, d’étonnement. Quel que soit l’intermédiaire, le cursus de l’artiste ou la renommée de l’entreprise, une immersion n’est possible que si cette rencontre a lieu.

Ce désir de travailler et de créer en relation avec des entreprises privées ou publiques, des administrations, des associations est avéré chez les artistes. Les motive tant le souhait de travailler en relation avec la société, de se confronter au réel et à autrui que de vivre de leur pratique.

Les expériences ne sont pas si rares, même dans notre région. A la faveur de l’atelier-formation que j’ai initié en octobre dernier avec Hélène Mugnier, consultante Art& Management, huit artistes nous ont ainsi rejoints pour partager leurs questions mais aussi leurs expériences. De portraits de commande réalisés pour une étude de notaires à la co-réalisation de boîtes à musique avec les déchets d’une entreprise de cartonnage en passant par un tournage avec les motards du Tour de France dans un studio de la SFP, les expériences de partenariat avec le monde de l’entreprise ne manquent pas. Nous relevons cependant que pour chacun des participants présents autour de la table un flou quant à leur statut est apparu dans cette relation : étaient-ils exécutants, artisans ou artistes ? Les choses bien souvent n’avaient pas été posées clairement au début de la relation, engendrant ensuite pour l’artiste des compromis qui pour certains les empêchent aujourd’hui de valoriser le travail accompli.

Une œuvre créée au sein d’une entreprise peut-elle s’en abstraire ?

La question du statut d’une œuvre réalisée par l’artiste en immersion se pose. Dans la mesure où elle a été réalisée au sein d’une organisation et où elle implique des personnes qui y travaillent, ceux-ci en deviennent-ils ses coauteurs ? Est-elle une œuvre collective divulguée sous le nom de l’artiste ? L’œuvre peut-elle avoir une existence propre au-delà de la période d’immersion, éventuellement être vendue, circuler sur le marché, devenir un objet d’art ?

Dans le cadre d’expériences clairement affirmées comme des interventions d’artistes en entreprise relatées lors des rencontres-discussions OPA d’octobre, les artistes d’Interim ont présenté les traces de leurs actions, diaporamas et films, objets fluides destinés à montrer l’éphémère pour partager l’expérience. Marie Reinert, en résidence aux Archives départementales d’Ille et Vilaine dans le cadre de la Biennale de Rennes, nous a présenté le film qu’elle y a réalisé en partenariat avec un ergonome du travail et dans lequel sont impliqués les salariés des archives. Ce film existe sous forme d’installation, les conditions pour le montrer impliquent un dispositif particulier, c’est une œuvre qui peut circuler, être installée et montrée dans un espace muséographique. Une œuvre qui fait sens et affirme son caractère fictionnel lorsqu’elle est abstraite de son contexte.

Redonner aux acteurs le choix d’être un public, replacer les œuvres dans le contexte de l’art

Que l’artiste immergé produise des formes immatérielles ou matérielles, que seules subsistent des traces de son action ou qu’apparaissent des formes pérennes, il me semble important que soit prévue une monstration du travail réalisé dans un lieu d’art. L’objectif en est valoriser le travail de l’artiste, non seulement pour lui mais aussi pour l’entreprise et ses salariés qui auront côtoyé, voire participé à la réalisation de son travail. En réintégrant les productions de l’artiste dans le contexte habituel d’exposition des œuvres, on opère un aller-retour entre les mondes de l’art et de l’entreprise. On permet au salarié de choisir d’aller ou non vers l’œuvre qui a été/s’est produite au sein de son entreprise, d’agir en « spectateur émancipé ».

A côté de la mise en place d’un système, tel qu’OPA, la solution pour créer une forme d’évidence sur la présence de l’artiste au sein des organisations ne résiderait-elle pas dans le choix par des institutions artistiques d’exposer ce type d’expériences artistiques ? Dans le choix par des galeristes de défendre des artistes travaillant dans ce sens ? C’est en multipliant les immersions en entreprise et en leur donnant une visibilité dans le champ de l’art qu’émergera et s’affirmera un art pertinent dans sa relation à l’entreprise, en tant que forme esthétique à même d’introduire un étonnement dans l’espace de l’expérience commune.

Olivier Greder : Un projet social de développement humain partagé au sein de l’entreprise.

Ce qui m’intéresse dans le projet OPA, c’est son potentiel à pouvoir générer des richesses non-utilitaristes.
L’immersion d’un artiste rémunéré dans l’entreprise selon les principes du projet OPA, ne vise pas la stimulation de la technocratie managériale, ni la production d’une œuvre pour la collection de ses dirigeants.
La cause est ailleurs.
Miser sur la fertilité que des rencontres entre des personnes d’imprégnation culturelle différente peuvent produire et faire de cette richesse un projet social de développement humain partagé au sein de l’entreprise, est ce qui me parait manifeste dans ce projet.
L’immersion d’un artiste dans l’entreprise selon les principes du projet OPA, c’est de la communication au sens actif ; quand des échanges intéressants sont possibles du fait des différences.
Il n’y a pas d’accord nouveau réel possible sans désaccord initial.
Le régime de l’obsession consensuelle et de la pseudo harmonie, entraîne l’abandon, voir le rejet de toute attitude ou forme de critique.
L’application globale du phénomène aboutit à la spoliation de la multiplicité des opinions et croyances au profit de la raison ambiante, tautologique.
Pour permettre d’arriver à un consensus, il faut très souvent sacrifier ses réticences, ou tout du moins les taire un moment pour simuler l’accord ; toute attitude critique est fort mal venue.
Le projet OPA réintroduit l’expérience courageuse de la confrontation. Etre au cœur de la fragilité, avoir la possibilité de faillir font partie intégrante de l’expérimentation. Le projet OPA permettrait de dépasser les consensus stériles et de refuser les échanges non dialogiques.
L’idée d’expérimenter une œuvre relationnelle sans contrepartie de valorisation conventionnelle au cœur de la fabrication des plus-values économiques, est une sorte d’exagération sûrement porteuse.
L’accord trouvé avec l’entreprise pour convenir de l’immersion d’un artiste dans les conditions du projet OPA, ne naît-il pas d’un décalage si grand au départ qu’il ferait advenir une sorte de compatibilité à l’endroit de logiques inconciliables ?

Ça produit quoi, une immersion ? Quelques éléments concrets de réflexion.

Les retours des personnes accueillant les deux premières artistes en immersion : Marie Bouts chez Arte et Julie Vayssière chez Gstudio sont positifs, enthousiastes même.

Mon vécu de l’intérieur, à la fois en tant qu’organisatrice et qu’artiste impliquée, de l’intervention d’Interim chez Arte m’a également permis de valider le présupposé de départ d’OPA : l’intérêt de la contamination d’une organisation humaine tant pour l’artiste que pour l’entreprise qui devient son terrain d’observation, d’étude, d’invention, d’imagination. Les effets de la présence d’un artiste sont multiples : questionnement sur le quotidien et la réalité de l’organisation investie, déplacement et effet miroir de la pratique de travailleur, bouleversement des habitudes, introduction d’énergie, d’air, d’enthousiasme, d’éphémère, de révolte, de poésie dans des logiques de productivité, de gestion, du geste nécessaire et utile. Multiplication des sourires francs sur les visages, jour après jour. Sensation d’une modification du battement interne de l’entreprise, accélération, due aussi au nombre d’artistes intervenant ensemble au sein de l’entreprise, en « commando ».

Poursuivre le projet OPA, c’est mettre à profit toute l’expérience acquise dans le cadre du projet d’intervention d’Interim chez Arte, de l’immersion plus longue en ces mêmes lieux de Marie Bouts, pour convaincre d’autres organisations de sauter le pas, de se lancer.

C’est permettre à l’art d’investir d’autres champs que ceux qui lui sont habituellement dédiés : le musée, la galerie, pour inventer de nouvelles règles de développement de l’activité artistique en relation avec la société, de nouvelles modalités de rémunération des artistes, non pour la seule production d’objets mais pour le libre jeu de leurs facultés de création au sein d’un organisme exogène, pour créer de nouveaux usages dans la diffusion de l’art dans la société et espérer ainsi multiplier les débouchés professionnels pour les artistes à côté du marché de l’art conventionnel, c’est réaliser l’utopique et souhaitable confusion de l’art et de la vie dans un temps d’activité essentiel et problématique pour une majorité d’êtres humains.

C’est enfin créer des situations nouvelles et exemplaires,  à partir desquelles réfléchir sur les modalités du fonctionnement du monde du travail, interroger la fonction de salarié et d’indépendant, mettre en perspective les limites et les risques de chacune de ces postures à l’échelle globale de la société. Regarder un artiste œuvrer dans une entreprise : grain de sable ou eau apportés au moulin de l’entrepreneur et du système qu’il a bâti, divertissement ou remise en question de ses employés et collaborateurs ?..

Hélène Mugnier : Que reste-t-il de l’art quand l’artiste se contente de proposer une expérience et un regard à partager ?

Hélène Mugnier, consultante en entreprise par le vecteur de l’art, nous propose son point de vue sur le projet OPA :

Le projet OPA n’est ni hostile ni financier, il n’a donc rien d’une OPA au sens économique du terme sinon qu’il se prête sciemment à une confusion des genres, comme pour mieux signifier son ambition d’interroger les modalités de l’entreprise.

Offre Publique d’Art se présente donc comme une proposition artistique destinée aux entreprises, prenant la forme d’un échange avec l’un des artistes du collectif, le temps d’une résidence. Voilà une initiative artistique qui m’a séduite et donné à réfléchir tant elle m’apparaît atypique à plusieurs titres.  Je proposerai ici d’expliciter les caractéristiques d’OPA telles je les ai perçues. Je précise à toutes fins utiles que cette petite contribution est à entendre d’un point de vue particulier, émanant de ma pratique professionnelle auprès des entreprises d’une part, et de mes recherches sur le statut de l’artiste et la place de l’art d’autre part. Un point de vue pratique et sensible, plutôt que théorique ou critique donc.

Un projet artistique immatériel et sans objet
OPA, initiative atypique, parce que d’abord, cette proposition artistique rompt, dans la forme et dans l’esprit, avec ce qu’on appelle communément « art » : ni objet esthétique, ni action spectaculaire, il s’agit ici d’un dispositif évolutif, ouvert, relevant d’une intelligence sensible et relationnelle, sans objectif défini a priori. En bref, OPA propose une forme d’art discrète, vivante et désacralisée et s’inscrit dans un mouvement croissant de l’art contemporain, celui que Nicolas Bourriaud a appelé « esthétique relationnelle» ou que Paul Ardenne a décrit comme « art contextuel ». Ce courant de l’art contemporain pose avec un certain courage une question : que reste-t-il de l’art quand on s’affranchit de ses codes extérieurs, c’est à dire du décorum du musée ou de la galerie, de la fétichisation de « l’œuvre » comme objet, des lois arbitraires du marché de l’art, de la posture de l’artiste en démiurge déjanté ? Que reste-t-il de l’art quand l’artiste se contente de proposer une expérience et un regard à partager ? Pour OPA, l’enjeu de l’art contemporain semble bien se situer dans ce questionnement. D’une manière inédite par ailleurs, pour l’entreprise contemporaine, ces formes d’art immatérielles, sensibles, expérientielles résonnent avec la mutation de l’économie de l’immatériel précisément, et donnent à penser d’un nouveau point de vue l’économie des savoirs et des talents, de l’innovation, de la mobilité, du virtuel.

Un projet collectif, un travail d’équipe
OPA est aussi un projet conçu et porté par un collectif d’artistes, partageant une même curiosité à l’égard de l’entreprise. Chacun n’en a pas moins, bien entendu, un talent artistique propre, fait de ses savoir-faire et de sa sensibilité. Mais le montage en équipe du projet apparaît comme une spécificité d’OPA et c’est une vraie gageure à souligner dans l’environnement artistique où prévaut la posture individualiste, depuis la génération romantique du début du XIXe siècle. OPA a donc son chef de projet, Catherine Gier en l’occurrence, qui en assure la communication (plaquette, blog…), coordonne les actions de chaque artiste et suit la mise en œuvre de chaque résidence en entreprise. Ceci dit, l’organisation de l’équipe OPA relève davantage du réseau connexionniste et horizontal que d’une structure verticale dirigiste, c’est tout l’intérêt expérimentateur de cette aventure : une tentative de fédérer des compétences complémentaires afin de donner plus de force et d’impact à chaque démarche artistique individuelle. L’équipe s’est enfin associée un comité de réflexion avec des personnes extérieures afin de proposer différents éclairages à son travail et à son engagement. (C’est dans ce cadre que j’ai le plaisir d’écrire ici) En ce sens, OPA nous rappelle opportunément que la création ne s’improvise pas, elle est un travail exigeant, un métier à compétences multiples : concevoir, développer, communiquer, rencontrer un public. Voilà qui rappellera à d’aucuns une forme originale du management par projet.

Un dialogue ouvert sur l’entreprise
Innovante aussi parce qu’elle est dédiée justement à ces entreprises, et ce, dans une logique d’échange réciproque. Or ce champ économique brille plutôt par son relatif effacement sur la scène artistique contemporaine. Après l’ère de la contestation idéologique, de la parodie humoristique ou provocatrice, puis du cynisme manipulateur, étrangement, les artistes actuels semblent s’être détournés de l’économie triomphante, comme si celle-ci ne les concernait pas ou plus ou moins. Il est vrai que perdurent différentes formes d’appropriation de l’économie dans l’art contemporain, sans pour autant créer de dialogue efficient avec cet univers. Ainsi, si OPA s’inscrit dans un ensemble d’autres initiatives artistiques( dont Paul Ardenne a précédemment sur ce blog parfaitement rappelé les caractéristiques et parmi lesquelles Ikhea©Services (Jean-Baptiste Farkas) et Courants Faibles (collectif initié par Liliane Viala) m’apparaissent les plus proches), ces exemples ont un coefficient de visibilité faible, et en tout cas, tout à fait nul du point de vue des entreprises, alors même qu’elles les interrogent directement. Point d’autant plus étrange à relever que la mondialisation du capitalisme libéral inquiète par son déploiement incontrôlé jusqu’à ses acteurs eux-mêmes. Par exemple, mes interlocuteurs dirigeants ou managers en entreprise, se montrent de plus en plus avides de se frotter à la création contemporaine pour se renouveler. OPA, en tout cas, s’empare du sujet et voit au contraire dans l’entreprise un espace inspirant d’exploration.

La conviction d’avoir à proposer à l’entreprise une valeur ajoutée
Le dénominateur commun des artistes du collectif est fondé sur un parti-pris : la construction d’un échange réciproque avec l’entreprise. En dépit de la diversité des personnalités donc des propositions qui prendront forme en résidence, ces artistes partagent une ambition : partager une expérience avec leur hôte en résidence, s’en approprier les modalités de fonctionnement, y investir leur capacité créative et y frotter leur sensibilité. L’énumération de leurs différentes propositions est éloquente sur ce qu’ils considèrent comme leur valeur ajoutée, en tant qu’artistes : « Oser », « Apprendre à faire confiance à son intuition et à son talent », « Avoir le besoin de savoir ce qui est essentiel », « Encourager l’imagination, la fantaisie, la rupture, l’étrange », « Expérimenter sans cesse », « Rendre contagieux l’enthousiasme et le désir », « Assumer les échecs », « Essayer de transformer les ratages en piste de travail », « Contourner les hésitations paralysantes », « Savoir transformer le stress en énergie créatrice », « Jouer avec la prise de risque », « La conscience professionnelle est fondamentale », « Employer une grande liberté de méthode au service de la créativité et de l’invention ». On ne sera pas surpris de retrouver dans la valeur ajoutée d’un processus artistique le vocabulaire de la créativité et de l’imaginaire, ainsi que du jeu ou de l’audace. On le sera davantage face à la récurrence d’un langage du questionnement plutôt que de l’affirmation, tant notre culte de l’art tend à nous le faire prendre au sérieux, au pied de la lettre et pour argent comptant : « essayer, expérimenter, apprendre, hésitations ». Le tâtonnement par essai-erreur est souligné et rappelle opportunément le cheminement tortueux qu’est celui de l’art. Pour autant, on note aussi dans ces énoncés une volonté incompressible d’action : « faire confiance, transformer, énergie, travail ». Enfin, il n’est pas inutile d’attirer l’attention sur l’expression explicite d’une pratique artistique rigoureuse et réfléchie, à rebours de l’idée souvent excessivement émotionnelle ou déstructurée que l’on se fait du travail artistique : « apprendre, employer, méthode, conscience professionnelle fondamentale, goût du détail, travail ». La complexité du processus artistique en ressort infiniment plus riche que ce à quoi il est souvent réduit, c’est à dire une quête esthétique ou idéaliste. Voilà au contraire un processus qui s’affiche et perçoit son apport essentiel dans un parcours acrobatique, exigeant, sans cesse remis en question… et pourtant stimulant et efficient !

Conclusion provisoire
OPA me parle donc avec intensité et acuité de mon environnement professionnel et économique, à la fois comme projet immatériel et processuel, comme aventure collective, comme ouverture courageuse au monde de l’entreprise, comme créateur d’une valeur ajoutée riche de sens. J’y relis aussi, en miroir, nombre de processus propres à la création d’entreprise et à la posture d’entrepreneur : volonté de faire entrer en acte une idée, capacité à mettre en œuvre collectivement des compétences complémentaires, avancée par tâtonnement et remise en question permanente, pragmatisme de cette première étape et ambition stratégique de développement à moyen terme. Resterait à explorer avec plus de précision les enjeux que pose OPA du point de vue de l’entreprise et du renouvellement en cours dans les pratiques managériales. Je m’y essaierai avec plaisir  ultérieurement sur ce blog.

Paul Ardenne : L’art prestataire de services et entrepreneurial

En ouverture aux contributions régulières des membres du Groupe de Réflexion, Paul Ardenne nous adresse un texte inédit. Il traite de la problématique générale des liens entre l’artiste classique puis moderne avec le monde de la production et l’entreprise.

 

L’éclatement des pratiques artistiques, l’élasticité totale de la notion d’œuvre d’art que consacrent fin de la modernité puis postmodernité expliquent l’émergence de créations artistiques hors norme, échappant aux critères de genre ou de style. On citera parmi celles-ci, entre autres, les formes d’art prestataires.
Formes d’art « prestataires » ? Un mot d’explication. L’artiste qui s’adonne à l’art « prestataire », plutôt qu’une « forme », valorisera un geste. Ce geste est dédié : il s’adresse de manière explicite au spectateur et par extension, le plus souvent, à n’importe qui, au-delà de la seule sphère restreinte du monde de l’art. Ce geste est un geste de service. L’artiste qui l’exécute, ce faisant, rend un service qualifié, d’une nature toujours précise. Pour ce service, il peut se faire rémunérer, manière habile de court-circuiter le marché traditionnel de l’art. Orlan, Le Baiser de l’artiste, 1977 : moyennant 5 francs, cette artiste française, installée pour l’occasion dans le périmètre de la foire internationale de Paris, vous embrasse sur la bouche. Le geste prestataire de l’artiste, aussi bien, sera gracieux. Lors de l’édition 1997 du Skulptur Projekte Munster, manifestation de sculpture publique en milieu urbain, Marie-Ange Guilleminot fait installer dans une rue de la cité westphalienne un édicule circulaire de bois conçu pour accueillir les piétons. Des trous, à la base de cette construction éphémère où l’on peut s’asseoir, ont été ménagés, afin que les occupants puissent y passer leurs pieds, que l’artiste masse.
Le stade suprême de l’« art prestataire » est la création d’entreprises. Soit, demeurant au stade de l’allusion, l’artiste « joue » à l’entrepreneur, en mimant et en important dans le champ de l’art des pratiques qui sont d’ordinaire celles de l’univers de la production et de la gestion économique. Soit, traversant cette fois le miroir, il s’intronise authentique affairiste. Ce saut professionnel, que les années 1990 banalisent (l’Economics Art ), est des plus explicite : il est le signe que l’artiste, qui se considère à l’image d’un entrepreneur comme les autres, n’entend pas opérer à part le monde, de manière idéaliste, mais au contraire en son sein même, au plus près. Continue reading ‘Paul Ardenne : L’art prestataire de services et entrepreneurial’