BILAN OPA : RECHERCHE D’ENTREPRISES PARTENAIRES

Méthodologie employée

Pour la recherche d’entreprises et/ou d’organisations partenaires, je me suis appuyée sur mon réseau et celui qui m’a été apporté par les membres du Syndicat Potentiel et Marta Caradec qui a souhaité nous aider sur le projet pendant quelques semaines entre mi-janvier et mi-mars.

J’ai ainsi privilégié les entreprises susceptibles d’être intéressées par une démarche artistique et celles au sein desquelles je pouvais bénéficier d’une entrée, d’un appui.

Je suis également entrée en contact avec les organismes professionnels représentant les entreprises et le monde économique afin d’obtenir des relais et des appuis d’une autorité venant de l’intérieur de ce milieu.

J’ai systématiquement appelé les entreprises de mon fichier pour présenter le projet au téléphone dans un premier temps dans la plupart des cas, suivi d’un envoi de mail comportant les documents présentant le projet (plaquette, budget), parfois d’un courrier en fonction des préférences de mes interlocuteurs. Chacun de ces envois a été suivi ensuite d’une relance ou de plusieurs relances pour obtenir un rendez-vous, une réponse.

Les résultats

Au final, j’ai pu avoir 47 réels échanges avec un décideur au sein de l’entreprise (échange téléphonique, de mail et/ou rendez-vous) sur 80 prises de contact.

2 organisations ont contractualisé l’accueil d’un artiste en immersion : ARTE GEIE et son Comité d’entreprise (chaîne de télévision) et GStudio (cabinet d’architectes).

Ont ainsi été immergés cette année 3 artistes :
Marie Bouts, au sein d’Arte GEIE du 21 avril au 16 juin 2008.
Julie Vayssière au sein de Gstudio du 22 au 26 avril 2008 et du 1er septembre au 31 octobre 2008.
Stéphanie Leininger au sein de Gstudio du 20 novembre au 20 décembre 2008.

Sur les 33 entreprises contactées au mois de juillet, 2 se sont déclarées intéressées par l’accueil d’un artiste en immersion en 2009.

Sur l’ensemble des 80 entreprises contactées seules 12 ont définitivement décliné la proposition.

BILAN OPA : DEVELOPPEMENT DES RESEAUX PROFESSIONNELS ET INSTITUTIONNELS

Les réseaux professionnels et institutionnels contactés

Dans le cadre de la recherche tant de subventions que de partenariats afin d’asseoir la démarche et d’augmenter les possibilités d’immersions d’artistes en entreprise, le projet a été présenté à 12 partenaires publics ou réseaux d’entreprises (Admical, CCI Du Bas-Rhin, CCI Sud Alsace,Conseil Général du Bas-Rhin, DRAC Alsace - Ministère de la Culture, Medef du Bas-Rhin, Mission Mécénat - Ministère de la Culture, Ordre Des Experts Comptables, Région Alsace, Société Industrielle de Mulhouse, Ville de Mulhouse,Ville de Strasbourg).

La constitution du groupe de réflexion

Afin de soutenir le projet, le faire connaitre dans les réseaux professionnels et de créer un observatoire de la démarche en cours, j’ai contacté 22 professionnels du monde de l’art ou du monde économique afin de constituer un groupe de réflexion.

Sur les 22 personnes contactées, 14 ont accepté de s’inscrire dans le groupe de réflexion.

BILAN OPA : DIFFICULTES, REPONSES ET POINTS POSITIFS

Les difficultés rencontrées

Lorsque j’ai pu décrocher des entretiens avec certains de mes prospects, j’ai constaté plusieurs difficultés :
. la première est la méconnaissance de la plupart de mes interlocuteurs des formes de création contemporaine autres que la peinture ou la sculpture quand les artistes que je leur proposai d’accueillir utilisent aussi et principalement les outils que sont la vidéo, la performance, les dispositifs participatifs ou les installations ;
. la deuxième consiste à accepter d’accueillir un artiste pour une carte blanche, sans avoir une idée précise au départ de ses éventuelles réalisations ;
. la troisième est la perception d’un sentiment de déception chez certains de ne pas avoir au terme de notre entretien une piste concrète de réalisation au sein de leur entreprise et aussi la perception que de devoir prendre un nouveau rendez-vous pour rencontrer un/des artistes était un nouvel effort à fournir, une étape en trop ;
. la quatrième a été le retour souvent positif, enthousiaste pour ce qui a été perçu comme un projet intéressant, innovant, mais « pas possible » dans l’entreprise de mon interlocuteur avec la suggestion d’aller voir d’autres entreprises « plus adaptées » (plus petites, plus grandes, plutôt des PME, plutôt dans un autre secteur…) ;
. la dernière a été la difficulté à obtenir des réponses claires et définitives de certains interlocuteurs.

Un sentiment général donc d’intérêt pour la proposition mais d’une sorte d’attentisme : « que d’autres se lancent en premier, nous attendons pour voir avant de nous engager. »

Les actions menées en réponse à ces difficultés

Ces premiers constats faits fin février, toute mon énergie a été portée sur le fait de rendre l’action OPA concrète :

. finalisation du blog, mise en ligne des contenus du projet, des bios des membres du groupe de réflexion, et de diaporamas présentant les réalisations des artistes.
. mise en place d’immersions pour alimenter le blog de restitutions et avoir des exemples concrets à montrer à mes interlocuteurs : mise en place d’une immersion en partenariat avec Gstudio, mise en place d’une immersion en partenariat avec le Comité d’Entreprise d’Arte et Arte GEIE.
. proposition aux artistes impliqués dans le projet d’entreprendre un démarchage actif auprès d’entreprises dont le secteur d’activité les inspire particulièrement avec transmission de la méthodologie d’entrée en relation avec d’éventuels commanditaires.

Suite au bilan intermédiaire produit fin juin, des actions ont été menées sur plusieurs points :

Augmentation de la visibilité du projet, opération de communication, amélioration de la lisibilité du blog :
· Edition et diffusion d’un flyer A5 présentant le programme OPA (distribution sur Strasbourg et envoi en France dans les lieux de diffusion artistique ainsi qu’à l’ensemble des réseaux et personnes contactées dans le cadre du groupe de réflexion).
· Mise à jour du blog OPA : Mise en ligne des restitutions hebdomadaires de tous les artistes en immersion. Rédaction d’une page d’accueil statique ciblée vers les entreprises et organisations pour que le blog soit immédiatement lisible.
· Installation des tableaux d’affichage OPA au Syndicat Potentiel (mise en place des lettrages, affichage du 4 pages, accrochage des tableaux blancs).
· Conférence à Mains d’Œuvres, lieu pour l’imagination artistique et citoyenne à Saint-Ouen, 5 octobre 2008.

Adaptation de la méthodologie d’approche des entreprises lors du démarchage :
· Mise à jour de la plaquette OPA pour offrir un cadre contractuel plus souple aux entreprises (durée d’immersion ajustable en fonction de l’artiste et de l’entreprise, pas de minimum de participation au titre du mécénat…).
· Tentatives de plusieurs stratégies de présentation du projet lors des rendez-vous (appui sur le concret réalisé en entreprise et au sein d’organisations par un ou des membres de l’équipe-projet, « quitte ou double » : présentation exhaustive et argumentée en fonction du secteur d’activité d’un seul artiste).

Création d’un événement à destination des acteurs du monde de l’art et de l’entreprise autour de la rencontre de leurs activités :
· Organisation de 3 journées de rencontres-discussions du 16 au 18 octobre 2008 autour des immersions réalisées dans le cadre d’OPA mais aussi d’autres expériences exemplaires (résidence de Marie Reinert aux Archives départementales d’Ille et Vilaine dans le cadre des Ateliers de Rennes et intervention d’Interim-équipe d’artistes au sein d’ARTE GEIE).
Objectifs : présenter les actions réalisées aux prospects, propager la démarche et générer une réflexion collective destinée à être partagée avec l’ensemble des acteurs intéressés par cette problématique.
· Communication sur les rencontres-discussions auprès d’un fichier de 480 contacts : presse locale, régionale, nationale et internet ainsi qu’acteurs identifiés du monde de l’art et de l’économie (institutions culturelles et économiques, personnes relais, membres du groupe de réflexion, ensemble des entreprises contactées…).

Elargissement de la démarche :
· Organisation d’un atelier-formation le 17 octobre 2008 destiné à tout artiste plasticien souhaitant engager des projets en relation avec l’entreprise (faisabilité, conseils, partage d’expériences). Animation de l’atelier en partenariat avec Hélène Mugnier (consultante Art & Entreprise) en présence de Clément Bastien (jeune chercheur en sciences politiques, auteur d’une étude sur la prise en compte de la démarche artistique par le chef d’entreprise et l’entreprise elle-même).

Les succès rencontrés

· Mise en place de 3 conventions d’immersion sur l’année.
· Signature de 2 conventions de mécénat (mécénat numéraire et mécénat de compétences).
· Soutien des 5 institutions publiques sollicitées : DRAC Alsace, Ville de Strasbourg, Conseil Général du Bas-Rhin, Région Alsace, ANPE (aides à l’emploi et de subventions publiques).
· Parution de 2 articles dans la presse papier (DNA du 10 octobre et du 16 octobre 2008) et de 7 articles annonçant les rencontres-discussion d’octobre (presse internet et réseaux sociaux).
· Suivi des rencontres-discussions Quand l’art fait de l’entreprise sa matière par 170 personnes sur 3 jours.
· Publication de 322 articles sur le blog OPA.
· Consultation du blog OPA depuis sa mise en ligne en décembre 2007 au 31 décembre 2008 : environ 10000 visites, 42000 pages vues.
· Constitution d’un réseau de 150 professionnels du monde de l’art et de l’entreprise intéressés par le projet.

BILAN OPA : ELEMENTS DE REFLEXION PERSONNELS

Au terme du développement actif d’OPA (Offre Publique d’Art) des questions se posent, non sur la pertinence de l’immersion d’un artiste au sein d’une entreprise, mais plus sur les modalités de mise en place d’un tel programme.

Artistes en entreprises : un pari impossible ?

Comment se fait-il que sur quarante-sept entreprises auxquelles le projet a été présenté, seules deux d’entre elles aient accepté d’accueillir un artiste en immersion au sein de leur entreprise, leurs locaux, parmi leurs personnels ?

Un chef d’entreprise peut-il assumer le risque de faire intervenir un artiste au sein de son établissement, sans savoir à l’avance ce que celui-ci va produire, si cette production sera de son goût ni même s’il produira quoi que ce soit, éventualité admise par le programme ?

Si la relation entre les mondes de l’art et de l’entreprise « ne va pas de soi » nous dit Clément Bastien, étudiant en sciences politiques qui termine une étude sur « Les investissement des entreprises alsaciennes dans le domaine artistique » commanditée par le Medef du Bas-Rhin, la méconnaissance de l’art contemporain par l’entreprise est-elle un frein à l’immersion d’artistes au sein d’organisations ?

Faire connaître l’art contemporain et ses formes

Il est indéniable, et je l’ai constaté lors de mes entretiens avec des dirigeants, que les formes processuelles produites par l’art contemporain et en interaction avec un spectateur agissant, celles auxquelles recourent les artistes membres de l’équipe OPA, que je présentai à mes interlocuteurs (performances, dispositifs participatifs, actions, modélisations dessinées à partir de données récoltées, films vidéo) n’étaient pas connues d’eux. Ces formes les ont parfois décontenancés mais plus souvent surpris, étonnés, interpelés. Certains ont entrevu des possibilités d’actions avec leurs personnels, d’autres ont craint pour la confidentialité de leurs données, certains y ont vu un moyen d’intervenir sur des problématiques sourdes de leur entreprise, d’autres ont estimé qu’il n’y avait rien à faire d’intéressant dans une usine pratiquant les 3/8, certains se sont dit qu’insuffler de l’art dans le quotidien de leurs collaborateurs ne pouvait qu’être positif, d’autres ont pensé que leurs chauffeurs n’accepteraient pas d’accueillir un artiste dans leur cabine… La plupart a demandé à être tenu au courant « de la suite », des actions réalisées, « pour voir ».

Une médiation autour de l’art contemporain en direction du public des entrepreneurs apparaît donc essentielle. Pour qu’il y ait passage à l’acte, il semblerait qu’il faille que le décideur connaisse l’artiste ou au moins les formes d’art qu’on lui propose d’accueillir mais aussi qu’il parvienne à envisager qu’une expérience artistique puisse se dérouler dans son environnement professionnel. Pour les deux organisations qui ont accueilli des artistes en immersion ces conditions étaient réunies.

Il est compréhensible qu’un futur commanditaire ait besoin d’être rassuré sur le professionnalisme de l’artiste qu’il envisage d’accueillir. Les références d’un artiste, ses publications, sa revue de presse me semblent autant d’arguments à même de convaincre un chef d’entreprise de lui ouvrir les portes de son établissement. L’appui d’intermédiaires, experts de l’art contemporain, directeurs de centres d’art ou entreprises de conseil art et management peuvent également contribuer à donner des repères et une certaine forme de garantie au chef d’entreprise dans la pertinence de son choix s’il en ressent le besoin.

Une nécessaire rencontre entre deux désirs

Ces critères « rationnels » d’appréciation ne sont pourtant pas suffisants. L’immersion d’un artiste au sein d’une entreprise ne peut avoir lieu que dans la rencontre entre deux curiosités, deux désirs d’ouverture, de questionnement, d’étonnement. Quel que soit l’intermédiaire, le cursus de l’artiste ou la renommée de l’entreprise, une immersion n’est possible que si cette rencontre a lieu.

Ce désir de travailler et de créer en relation avec des entreprises privées ou publiques, des administrations, des associations est avéré chez les artistes. Les motive tant le souhait de travailler en relation avec la société, de se confronter au réel et à autrui que de vivre de leur pratique.

Les expériences ne sont pas si rares, même dans notre région. A la faveur de l’atelier-formation que j’ai initié en octobre dernier avec Hélène Mugnier, consultante Art& Management, huit artistes nous ont ainsi rejoints pour partager leurs questions mais aussi leurs expériences. De portraits de commande réalisés pour une étude de notaires à la co-réalisation de boîtes à musique avec les déchets d’une entreprise de cartonnage en passant par un tournage avec les motards du Tour de France dans un studio de la SFP, les expériences de partenariat avec le monde de l’entreprise ne manquent pas. Nous relevons cependant que pour chacun des participants présents autour de la table un flou quant à leur statut est apparu dans cette relation : étaient-ils exécutants, artisans ou artistes ? Les choses bien souvent n’avaient pas été posées clairement au début de la relation, engendrant ensuite pour l’artiste des compromis qui pour certains les empêchent aujourd’hui de valoriser le travail accompli.

Une œuvre créée au sein d’une entreprise peut-elle s’en abstraire ?

La question du statut d’une œuvre réalisée par l’artiste en immersion se pose. Dans la mesure où elle a été réalisée au sein d’une organisation et où elle implique des personnes qui y travaillent, ceux-ci en deviennent-ils ses coauteurs ? Est-elle une œuvre collective divulguée sous le nom de l’artiste ? L’œuvre peut-elle avoir une existence propre au-delà de la période d’immersion, éventuellement être vendue, circuler sur le marché, devenir un objet d’art ?

Dans le cadre d’expériences clairement affirmées comme des interventions d’artistes en entreprise relatées lors des rencontres-discussions OPA d’octobre, les artistes d’Interim ont présenté les traces de leurs actions, diaporamas et films, objets fluides destinés à montrer l’éphémère pour partager l’expérience. Marie Reinert, en résidence aux Archives départementales d’Ille et Vilaine dans le cadre de la Biennale de Rennes, nous a présenté le film qu’elle y a réalisé en partenariat avec un ergonome du travail et dans lequel sont impliqués les salariés des archives. Ce film existe sous forme d’installation, les conditions pour le montrer impliquent un dispositif particulier, c’est une œuvre qui peut circuler, être installée et montrée dans un espace muséographique. Une œuvre qui fait sens et affirme son caractère fictionnel lorsqu’elle est abstraite de son contexte.

Redonner aux acteurs le choix d’être un public, replacer les œuvres dans le contexte de l’art

Que l’artiste immergé produise des formes immatérielles ou matérielles, que seules subsistent des traces de son action ou qu’apparaissent des formes pérennes, il me semble important que soit prévue une monstration du travail réalisé dans un lieu d’art. L’objectif en est valoriser le travail de l’artiste, non seulement pour lui mais aussi pour l’entreprise et ses salariés qui auront côtoyé, voire participé à la réalisation de son travail. En réintégrant les productions de l’artiste dans le contexte habituel d’exposition des œuvres, on opère un aller-retour entre les mondes de l’art et de l’entreprise. On permet au salarié de choisir d’aller ou non vers l’œuvre qui a été/s’est produite au sein de son entreprise, d’agir en « spectateur émancipé ».

A côté de la mise en place d’un système, tel qu’OPA, la solution pour créer une forme d’évidence sur la présence de l’artiste au sein des organisations ne résiderait-elle pas dans le choix par des institutions artistiques d’exposer ce type d’expériences artistiques ? Dans le choix par des galeristes de défendre des artistes travaillant dans ce sens ? C’est en multipliant les immersions en entreprise et en leur donnant une visibilité dans le champ de l’art qu’émergera et s’affirmera un art pertinent dans sa relation à l’entreprise, en tant que forme esthétique à même d’introduire un étonnement dans l’espace de l’expérience commune.

Post-it (sélection semaine 35)

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Hélène Mugnier : Que reste-t-il de l’art quand l’artiste se contente de proposer une expérience et un regard à partager ?

Hélène Mugnier, consultante en entreprise par le vecteur de l’art, nous propose son point de vue sur le projet OPA :

Le projet OPA n’est ni hostile ni financier, il n’a donc rien d’une OPA au sens économique du terme sinon qu’il se prête sciemment à une confusion des genres, comme pour mieux signifier son ambition d’interroger les modalités de l’entreprise.

Offre Publique d’Art se présente donc comme une proposition artistique destinée aux entreprises, prenant la forme d’un échange avec l’un des artistes du collectif, le temps d’une résidence. Voilà une initiative artistique qui m’a séduite et donné à réfléchir tant elle m’apparaît atypique à plusieurs titres.  Je proposerai ici d’expliciter les caractéristiques d’OPA telles je les ai perçues. Je précise à toutes fins utiles que cette petite contribution est à entendre d’un point de vue particulier, émanant de ma pratique professionnelle auprès des entreprises d’une part, et de mes recherches sur le statut de l’artiste et la place de l’art d’autre part. Un point de vue pratique et sensible, plutôt que théorique ou critique donc.

Un projet artistique immatériel et sans objet
OPA, initiative atypique, parce que d’abord, cette proposition artistique rompt, dans la forme et dans l’esprit, avec ce qu’on appelle communément « art » : ni objet esthétique, ni action spectaculaire, il s’agit ici d’un dispositif évolutif, ouvert, relevant d’une intelligence sensible et relationnelle, sans objectif défini a priori. En bref, OPA propose une forme d’art discrète, vivante et désacralisée et s’inscrit dans un mouvement croissant de l’art contemporain, celui que Nicolas Bourriaud a appelé « esthétique relationnelle» ou que Paul Ardenne a décrit comme « art contextuel ». Ce courant de l’art contemporain pose avec un certain courage une question : que reste-t-il de l’art quand on s’affranchit de ses codes extérieurs, c’est à dire du décorum du musée ou de la galerie, de la fétichisation de « l’œuvre » comme objet, des lois arbitraires du marché de l’art, de la posture de l’artiste en démiurge déjanté ? Que reste-t-il de l’art quand l’artiste se contente de proposer une expérience et un regard à partager ? Pour OPA, l’enjeu de l’art contemporain semble bien se situer dans ce questionnement. D’une manière inédite par ailleurs, pour l’entreprise contemporaine, ces formes d’art immatérielles, sensibles, expérientielles résonnent avec la mutation de l’économie de l’immatériel précisément, et donnent à penser d’un nouveau point de vue l’économie des savoirs et des talents, de l’innovation, de la mobilité, du virtuel.

Un projet collectif, un travail d’équipe
OPA est aussi un projet conçu et porté par un collectif d’artistes, partageant une même curiosité à l’égard de l’entreprise. Chacun n’en a pas moins, bien entendu, un talent artistique propre, fait de ses savoir-faire et de sa sensibilité. Mais le montage en équipe du projet apparaît comme une spécificité d’OPA et c’est une vraie gageure à souligner dans l’environnement artistique où prévaut la posture individualiste, depuis la génération romantique du début du XIXe siècle. OPA a donc son chef de projet, Catherine Gier en l’occurrence, qui en assure la communication (plaquette, blog…), coordonne les actions de chaque artiste et suit la mise en œuvre de chaque résidence en entreprise. Ceci dit, l’organisation de l’équipe OPA relève davantage du réseau connexionniste et horizontal que d’une structure verticale dirigiste, c’est tout l’intérêt expérimentateur de cette aventure : une tentative de fédérer des compétences complémentaires afin de donner plus de force et d’impact à chaque démarche artistique individuelle. L’équipe s’est enfin associée un comité de réflexion avec des personnes extérieures afin de proposer différents éclairages à son travail et à son engagement. (C’est dans ce cadre que j’ai le plaisir d’écrire ici) En ce sens, OPA nous rappelle opportunément que la création ne s’improvise pas, elle est un travail exigeant, un métier à compétences multiples : concevoir, développer, communiquer, rencontrer un public. Voilà qui rappellera à d’aucuns une forme originale du management par projet.

Un dialogue ouvert sur l’entreprise
Innovante aussi parce qu’elle est dédiée justement à ces entreprises, et ce, dans une logique d’échange réciproque. Or ce champ économique brille plutôt par son relatif effacement sur la scène artistique contemporaine. Après l’ère de la contestation idéologique, de la parodie humoristique ou provocatrice, puis du cynisme manipulateur, étrangement, les artistes actuels semblent s’être détournés de l’économie triomphante, comme si celle-ci ne les concernait pas ou plus ou moins. Il est vrai que perdurent différentes formes d’appropriation de l’économie dans l’art contemporain, sans pour autant créer de dialogue efficient avec cet univers. Ainsi, si OPA s’inscrit dans un ensemble d’autres initiatives artistiques( dont Paul Ardenne a précédemment sur ce blog parfaitement rappelé les caractéristiques et parmi lesquelles Ikhea©Services (Jean-Baptiste Farkas) et Courants Faibles (collectif initié par Liliane Viala) m’apparaissent les plus proches), ces exemples ont un coefficient de visibilité faible, et en tout cas, tout à fait nul du point de vue des entreprises, alors même qu’elles les interrogent directement. Point d’autant plus étrange à relever que la mondialisation du capitalisme libéral inquiète par son déploiement incontrôlé jusqu’à ses acteurs eux-mêmes. Par exemple, mes interlocuteurs dirigeants ou managers en entreprise, se montrent de plus en plus avides de se frotter à la création contemporaine pour se renouveler. OPA, en tout cas, s’empare du sujet et voit au contraire dans l’entreprise un espace inspirant d’exploration.

La conviction d’avoir à proposer à l’entreprise une valeur ajoutée
Le dénominateur commun des artistes du collectif est fondé sur un parti-pris : la construction d’un échange réciproque avec l’entreprise. En dépit de la diversité des personnalités donc des propositions qui prendront forme en résidence, ces artistes partagent une ambition : partager une expérience avec leur hôte en résidence, s’en approprier les modalités de fonctionnement, y investir leur capacité créative et y frotter leur sensibilité. L’énumération de leurs différentes propositions est éloquente sur ce qu’ils considèrent comme leur valeur ajoutée, en tant qu’artistes : « Oser », « Apprendre à faire confiance à son intuition et à son talent », « Avoir le besoin de savoir ce qui est essentiel », « Encourager l’imagination, la fantaisie, la rupture, l’étrange », « Expérimenter sans cesse », « Rendre contagieux l’enthousiasme et le désir », « Assumer les échecs », « Essayer de transformer les ratages en piste de travail », « Contourner les hésitations paralysantes », « Savoir transformer le stress en énergie créatrice », « Jouer avec la prise de risque », « La conscience professionnelle est fondamentale », « Employer une grande liberté de méthode au service de la créativité et de l’invention ». On ne sera pas surpris de retrouver dans la valeur ajoutée d’un processus artistique le vocabulaire de la créativité et de l’imaginaire, ainsi que du jeu ou de l’audace. On le sera davantage face à la récurrence d’un langage du questionnement plutôt que de l’affirmation, tant notre culte de l’art tend à nous le faire prendre au sérieux, au pied de la lettre et pour argent comptant : « essayer, expérimenter, apprendre, hésitations ». Le tâtonnement par essai-erreur est souligné et rappelle opportunément le cheminement tortueux qu’est celui de l’art. Pour autant, on note aussi dans ces énoncés une volonté incompressible d’action : « faire confiance, transformer, énergie, travail ». Enfin, il n’est pas inutile d’attirer l’attention sur l’expression explicite d’une pratique artistique rigoureuse et réfléchie, à rebours de l’idée souvent excessivement émotionnelle ou déstructurée que l’on se fait du travail artistique : « apprendre, employer, méthode, conscience professionnelle fondamentale, goût du détail, travail ». La complexité du processus artistique en ressort infiniment plus riche que ce à quoi il est souvent réduit, c’est à dire une quête esthétique ou idéaliste. Voilà au contraire un processus qui s’affiche et perçoit son apport essentiel dans un parcours acrobatique, exigeant, sans cesse remis en question… et pourtant stimulant et efficient !

Conclusion provisoire
OPA me parle donc avec intensité et acuité de mon environnement professionnel et économique, à la fois comme projet immatériel et processuel, comme aventure collective, comme ouverture courageuse au monde de l’entreprise, comme créateur d’une valeur ajoutée riche de sens. J’y relis aussi, en miroir, nombre de processus propres à la création d’entreprise et à la posture d’entrepreneur : volonté de faire entrer en acte une idée, capacité à mettre en œuvre collectivement des compétences complémentaires, avancée par tâtonnement et remise en question permanente, pragmatisme de cette première étape et ambition stratégique de développement à moyen terme. Resterait à explorer avec plus de précision les enjeux que pose OPA du point de vue de l’entreprise et du renouvellement en cours dans les pratiques managériales. Je m’y essaierai avec plaisir  ultérieurement sur ce blog.

Motivation : Alice Retorré

« Le contexte est pour moi un moteur. Mes principales interventions artistiques ont été réalisées dans des contextes particuliers : jardins familiaux, bibliothèque, commandes de quartiers ou de villes. Quand je travaille sur un projet, je ressens le besoin d’être en relation avec des personnes, de sentir une attente, et d’avoir l’impression de travailler sur commande, pour satisfaire (ou pas) un désir. J’aime penser qu’une œuvre pourrait se déduire d’un cahier des charges, révélé par une étude subjective de son contexte. Dans le cadre de mon parcours professionnel non artistique, j’ai été et je suis en contact avec plusieurs entreprises : ces expériences dans la “vraie vie” ne sont pas seulement alimentaires, il est bon d’avoir des contacts avec le monde du travail pour envisager la société. Ces expériences me sont indispensables pour avoir le sentiment d’avancer, d’augmenter mes compétences, de développer des savoirs et des pratiques, rencontrer des personnes et des points de vues nouveaux. J’en retire le sentiment que ce milieu est, pour un artiste, un contexte de travail particulièrement riche. J’aime l’idée d’une sorte de symbiose entre un artiste, qui serait la symbiote, et une entreprise, qui serait le gros animal.»