Revue de presse (s.35)

Sur le travail artistique observé par les ethnologues, extraits de l’introduction du n°113 de la revue Ethnologie française.

« Le travail artistique est un objet difficile à saisir, encore peu étudié malgré le fort attrait qu’il suscite dans notre société. Souvent placé sous le registre de la « vocation », il échappe aux analyses classiques des sciences sociales. Empreint de sentiments passionnés et d’implications subjectives dans l’accomplissement de l’œuvre, il ne facilite guère la distanciation. Dans la mesure où il est plutôt fluide, fuyant et parfois même solitaire, le travail artistique rend difficile la reconstitution de ses principes collectifs d’action, que la question soit posée en termes de « mondes de l’art » [Becker, 1982], de « champ artistique » [Bourdieu, 199] ou de « médiation » [Hennion, 1993]. »

« Le travail artistique comme activité collective.
« … du fait de son caractère éclaté, valorisant l’acte unique, faisant souvent l’objet de stratégies de déni de son caractère organisé, hiérarchique et parfois conflictuel, le travail artistique est difficile à saisir dans ses dimensions collectives.
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La valorisation de l’inspiration individuelle, de l’unicité de l’œuvre et du registre de la vocation [Heinich, 2005] tend aussi à masquer ce que des recherches empiriques identifient sans cesse : les ressorts collectifs, tendus, conflictuels de l’acte créatif . »

« Accéder au cœur de la création artistique.
« …Le repérage des sensations, des ressentis ou des stratégies pour masquer les réalités du métier peut nécessiter une expérience directe de l’activité artistique par le chercheur [Buscatto, 2005]. Magali Sizorn, en se mettant « dans la peau » des trapézistes, a entendu, « vu » et ressenti les manières dont se construisent les corporéités des circassiens. Le trapèze évoque légèreté et grâce, image savamment entretenue par les trapézistes à travers leurs sourires et leurs paroles enthousiastes. Mais son expérience directe de la trapézie a mené l’auteure à identifier leurs stratégies pour déjouer les douleurs, les blessures, les peurs, pour faire taire leurs sensations négatives, autrement dit pour mettre au jour les contraintes exercées sur les corps afin de les dompter dans le sens artistique visé. »

Le travail artistique est rarement regardé « de l’intérieur », du point de vue de ceux et de celles qui s’y consacrent au quotidien, dans la durée, souvent de manière peu visible. C’est l’enquête par observations qui permet d’y parvenir. »

« De l’idéal artistique au travail « ordinaire ».
« …Que se passe-t-il encore pour les artistes lorsqu’ils et elles réalisent des interventions dans des mondes aux logiques a priori étrangères aux réalités artistiques ? Selon les observations menées par Jean-Paul Filiod, les artistes intervenant dans des écoles maternelles voient leurs identités, leurs compétences, leurs savoirs se diversifier, se complexifier, se brouiller par le seul contact avec ce territoire professionnel nouveau. Toujours artistes dans leur esprit, plutôt pédagogues dans leurs actes, les trajectoires et les définitions de soi se multiplient entre investissements identitaires et renégociations des définitions de leurs actes professionnels. »

In L’art au travail, L’art et la manière : ethnographies du travail artistique, M. Buscatto, Ethnologie française, N°113, 2008/1, Introduction, p.5 à 13,