Autour du livre de Hal Forster, Design and crime, paru aux Etats-Unis en 2002 et en France en avril 2008.
Extraits.
« L’époque ? La nôtre, celle du capitalisme immatériel, de l’économie post-fordienne, du commerce des signes et des symboles, du mégastore et du buzz, du triomphe des marques, de la marchandise sans cesse renouvelée et redesignée. Les protagonistes ? Ils sont deux, de force très inégale : l’art et le marché (…), réunis dans un baiser mortel, du moins pour le premier.
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En 1908, dans son texte intitulé Ornement et crime (ou Design and crime), « Adolf Loos récuse la prétention de l’Art nouveau à vouloir effacer la frontière entre l’art et l’artisanat, l’art et la vie, à tout vouloir confondre et enrégimenter dans un projet d’art total, jusqu’aux interrupteurs et aux cendriers. A cette colonisation de la vie quotidienne par une utopie qu’il juge mortifère, Loos oppose la nécessaire séparation des disciplines et des registres, seule à même de préserver l’espace de jeu et le recul critique sans lesquels l’art est condamné à la stérilité ou au bavardage. Il en appelle à la rigueur, à l’austérité, à l’inachevé. Au-delà d’une querelle d’époque, il est question du statut de l’art dans les sociétés modernes, de son autonomie, de ses discours, de son territoire, de sa vie ou de sa mort.
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Ainsi aujourd’hui, selon Hal Forster, « Le projet ancien de réconcilier l’Art et la Vie […] s’est enfin accompli, non en suivant les ambitions émancipatrices de l’avant-garde, mais en obéissant aux injonctions spectaculaires de l’industriel culturelle ».
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Dans le dernier chapitre de son livre, « Erreur sur le cadavre », il dessine […] ce fameux « espace de jeu » […]. Retrouver, sans invoquer un passé idéal, l’autonomie de l’art vis-à-vis du marché autant que de la culture […], telle devient en effet l’une des tâches d’aujourd’hui et de demain. »
In L’art confisqué, N. Conrod, Télérama N°3059, p.34-35