Ça produit quoi, une immersion ? Quelques éléments concrets de réflexion.

Les retours des personnes accueillant les deux premières artistes en immersion : Marie Bouts chez Arte et Julie Vayssière chez Gstudio sont positifs, enthousiastes même.

Mon vécu de l’intérieur, à la fois en tant qu’organisatrice et qu’artiste impliquée, de l’intervention d’Interim chez Arte m’a également permis de valider le présupposé de départ d’OPA : l’intérêt de la contamination d’une organisation humaine tant pour l’artiste que pour l’entreprise qui devient son terrain d’observation, d’étude, d’invention, d’imagination. Les effets de la présence d’un artiste sont multiples : questionnement sur le quotidien et la réalité de l’organisation investie, déplacement et effet miroir de la pratique de travailleur, bouleversement des habitudes, introduction d’énergie, d’air, d’enthousiasme, d’éphémère, de révolte, de poésie dans des logiques de productivité, de gestion, du geste nécessaire et utile. Multiplication des sourires francs sur les visages, jour après jour. Sensation d’une modification du battement interne de l’entreprise, accélération, due aussi au nombre d’artistes intervenant ensemble au sein de l’entreprise, en « commando ».

Poursuivre le projet OPA, c’est mettre à profit toute l’expérience acquise dans le cadre du projet d’intervention d’Interim chez Arte, de l’immersion plus longue en ces mêmes lieux de Marie Bouts, pour convaincre d’autres organisations de sauter le pas, de se lancer.

C’est permettre à l’art d’investir d’autres champs que ceux qui lui sont habituellement dédiés : le musée, la galerie, pour inventer de nouvelles règles de développement de l’activité artistique en relation avec la société, de nouvelles modalités de rémunération des artistes, non pour la seule production d’objets mais pour le libre jeu de leurs facultés de création au sein d’un organisme exogène, pour créer de nouveaux usages dans la diffusion de l’art dans la société et espérer ainsi multiplier les débouchés professionnels pour les artistes à côté du marché de l’art conventionnel, c’est réaliser l’utopique et souhaitable confusion de l’art et de la vie dans un temps d’activité essentiel et problématique pour une majorité d’êtres humains.

C’est enfin créer des situations nouvelles et exemplaires,  à partir desquelles réfléchir sur les modalités du fonctionnement du monde du travail, interroger la fonction de salarié et d’indépendant, mettre en perspective les limites et les risques de chacune de ces postures à l’échelle globale de la société. Regarder un artiste œuvrer dans une entreprise : grain de sable ou eau apportés au moulin de l’entrepreneur et du système qu’il a bâti, divertissement ou remise en question de ses employés et collaborateurs ?..

Hélène Mugnier : Que reste-t-il de l’art quand l’artiste se contente de proposer une expérience et un regard à partager ?

Hélène Mugnier, consultante en entreprise par le vecteur de l’art, nous propose son point de vue sur le projet OPA :

Le projet OPA n’est ni hostile ni financier, il n’a donc rien d’une OPA au sens économique du terme sinon qu’il se prête sciemment à une confusion des genres, comme pour mieux signifier son ambition d’interroger les modalités de l’entreprise.

Offre Publique d’Art se présente donc comme une proposition artistique destinée aux entreprises, prenant la forme d’un échange avec l’un des artistes du collectif, le temps d’une résidence. Voilà une initiative artistique qui m’a séduite et donné à réfléchir tant elle m’apparaît atypique à plusieurs titres.  Je proposerai ici d’expliciter les caractéristiques d’OPA telles je les ai perçues. Je précise à toutes fins utiles que cette petite contribution est à entendre d’un point de vue particulier, émanant de ma pratique professionnelle auprès des entreprises d’une part, et de mes recherches sur le statut de l’artiste et la place de l’art d’autre part. Un point de vue pratique et sensible, plutôt que théorique ou critique donc.

Un projet artistique immatériel et sans objet
OPA, initiative atypique, parce que d’abord, cette proposition artistique rompt, dans la forme et dans l’esprit, avec ce qu’on appelle communément « art » : ni objet esthétique, ni action spectaculaire, il s’agit ici d’un dispositif évolutif, ouvert, relevant d’une intelligence sensible et relationnelle, sans objectif défini a priori. En bref, OPA propose une forme d’art discrète, vivante et désacralisée et s’inscrit dans un mouvement croissant de l’art contemporain, celui que Nicolas Bourriaud a appelé « esthétique relationnelle» ou que Paul Ardenne a décrit comme « art contextuel ». Ce courant de l’art contemporain pose avec un certain courage une question : que reste-t-il de l’art quand on s’affranchit de ses codes extérieurs, c’est à dire du décorum du musée ou de la galerie, de la fétichisation de « l’œuvre » comme objet, des lois arbitraires du marché de l’art, de la posture de l’artiste en démiurge déjanté ? Que reste-t-il de l’art quand l’artiste se contente de proposer une expérience et un regard à partager ? Pour OPA, l’enjeu de l’art contemporain semble bien se situer dans ce questionnement. D’une manière inédite par ailleurs, pour l’entreprise contemporaine, ces formes d’art immatérielles, sensibles, expérientielles résonnent avec la mutation de l’économie de l’immatériel précisément, et donnent à penser d’un nouveau point de vue l’économie des savoirs et des talents, de l’innovation, de la mobilité, du virtuel.

Un projet collectif, un travail d’équipe
OPA est aussi un projet conçu et porté par un collectif d’artistes, partageant une même curiosité à l’égard de l’entreprise. Chacun n’en a pas moins, bien entendu, un talent artistique propre, fait de ses savoir-faire et de sa sensibilité. Mais le montage en équipe du projet apparaît comme une spécificité d’OPA et c’est une vraie gageure à souligner dans l’environnement artistique où prévaut la posture individualiste, depuis la génération romantique du début du XIXe siècle. OPA a donc son chef de projet, Catherine Gier en l’occurrence, qui en assure la communication (plaquette, blog…), coordonne les actions de chaque artiste et suit la mise en œuvre de chaque résidence en entreprise. Ceci dit, l’organisation de l’équipe OPA relève davantage du réseau connexionniste et horizontal que d’une structure verticale dirigiste, c’est tout l’intérêt expérimentateur de cette aventure : une tentative de fédérer des compétences complémentaires afin de donner plus de force et d’impact à chaque démarche artistique individuelle. L’équipe s’est enfin associée un comité de réflexion avec des personnes extérieures afin de proposer différents éclairages à son travail et à son engagement. (C’est dans ce cadre que j’ai le plaisir d’écrire ici) En ce sens, OPA nous rappelle opportunément que la création ne s’improvise pas, elle est un travail exigeant, un métier à compétences multiples : concevoir, développer, communiquer, rencontrer un public. Voilà qui rappellera à d’aucuns une forme originale du management par projet.

Un dialogue ouvert sur l’entreprise
Innovante aussi parce qu’elle est dédiée justement à ces entreprises, et ce, dans une logique d’échange réciproque. Or ce champ économique brille plutôt par son relatif effacement sur la scène artistique contemporaine. Après l’ère de la contestation idéologique, de la parodie humoristique ou provocatrice, puis du cynisme manipulateur, étrangement, les artistes actuels semblent s’être détournés de l’économie triomphante, comme si celle-ci ne les concernait pas ou plus ou moins. Il est vrai que perdurent différentes formes d’appropriation de l’économie dans l’art contemporain, sans pour autant créer de dialogue efficient avec cet univers. Ainsi, si OPA s’inscrit dans un ensemble d’autres initiatives artistiques( dont Paul Ardenne a précédemment sur ce blog parfaitement rappelé les caractéristiques et parmi lesquelles Ikhea©Services (Jean-Baptiste Farkas) et Courants Faibles (collectif initié par Liliane Viala) m’apparaissent les plus proches), ces exemples ont un coefficient de visibilité faible, et en tout cas, tout à fait nul du point de vue des entreprises, alors même qu’elles les interrogent directement. Point d’autant plus étrange à relever que la mondialisation du capitalisme libéral inquiète par son déploiement incontrôlé jusqu’à ses acteurs eux-mêmes. Par exemple, mes interlocuteurs dirigeants ou managers en entreprise, se montrent de plus en plus avides de se frotter à la création contemporaine pour se renouveler. OPA, en tout cas, s’empare du sujet et voit au contraire dans l’entreprise un espace inspirant d’exploration.

La conviction d’avoir à proposer à l’entreprise une valeur ajoutée
Le dénominateur commun des artistes du collectif est fondé sur un parti-pris : la construction d’un échange réciproque avec l’entreprise. En dépit de la diversité des personnalités donc des propositions qui prendront forme en résidence, ces artistes partagent une ambition : partager une expérience avec leur hôte en résidence, s’en approprier les modalités de fonctionnement, y investir leur capacité créative et y frotter leur sensibilité. L’énumération de leurs différentes propositions est éloquente sur ce qu’ils considèrent comme leur valeur ajoutée, en tant qu’artistes : « Oser », « Apprendre à faire confiance à son intuition et à son talent », « Avoir le besoin de savoir ce qui est essentiel », « Encourager l’imagination, la fantaisie, la rupture, l’étrange », « Expérimenter sans cesse », « Rendre contagieux l’enthousiasme et le désir », « Assumer les échecs », « Essayer de transformer les ratages en piste de travail », « Contourner les hésitations paralysantes », « Savoir transformer le stress en énergie créatrice », « Jouer avec la prise de risque », « La conscience professionnelle est fondamentale », « Employer une grande liberté de méthode au service de la créativité et de l’invention ». On ne sera pas surpris de retrouver dans la valeur ajoutée d’un processus artistique le vocabulaire de la créativité et de l’imaginaire, ainsi que du jeu ou de l’audace. On le sera davantage face à la récurrence d’un langage du questionnement plutôt que de l’affirmation, tant notre culte de l’art tend à nous le faire prendre au sérieux, au pied de la lettre et pour argent comptant : « essayer, expérimenter, apprendre, hésitations ». Le tâtonnement par essai-erreur est souligné et rappelle opportunément le cheminement tortueux qu’est celui de l’art. Pour autant, on note aussi dans ces énoncés une volonté incompressible d’action : « faire confiance, transformer, énergie, travail ». Enfin, il n’est pas inutile d’attirer l’attention sur l’expression explicite d’une pratique artistique rigoureuse et réfléchie, à rebours de l’idée souvent excessivement émotionnelle ou déstructurée que l’on se fait du travail artistique : « apprendre, employer, méthode, conscience professionnelle fondamentale, goût du détail, travail ». La complexité du processus artistique en ressort infiniment plus riche que ce à quoi il est souvent réduit, c’est à dire une quête esthétique ou idéaliste. Voilà au contraire un processus qui s’affiche et perçoit son apport essentiel dans un parcours acrobatique, exigeant, sans cesse remis en question… et pourtant stimulant et efficient !

Conclusion provisoire
OPA me parle donc avec intensité et acuité de mon environnement professionnel et économique, à la fois comme projet immatériel et processuel, comme aventure collective, comme ouverture courageuse au monde de l’entreprise, comme créateur d’une valeur ajoutée riche de sens. J’y relis aussi, en miroir, nombre de processus propres à la création d’entreprise et à la posture d’entrepreneur : volonté de faire entrer en acte une idée, capacité à mettre en œuvre collectivement des compétences complémentaires, avancée par tâtonnement et remise en question permanente, pragmatisme de cette première étape et ambition stratégique de développement à moyen terme. Resterait à explorer avec plus de précision les enjeux que pose OPA du point de vue de l’entreprise et du renouvellement en cours dans les pratiques managériales. Je m’y essaierai avec plaisir  ultérieurement sur ce blog.

Pierre Mercier

Au début des années 80, Pierre Mercier est advenu à l’art un peu par hasard. Suite à une série de quiproquos, il a fini par porter élégamment l’habit d’artiste conceptuel que critiques et conservateurs lui avaient taillé sur mesure.

Il s’est amusé à pratiquer les bonnes manières pendant quelques années brillantes avant de rompre assez grossièrement, vers la fin des années 90, avec le côté “people” de la scène artistique française. On s’est bien sûr empressé de dire, en trouvant quelques douteuses raisons privées, qu’il ne faisait plus rien ce qui ne manquerait pas de permettre de l’oublier sans cérémonie. Mais, jamais, depuis qu’il a été appelé pour enseigner dans une école d’art (aujourd’hui à l’Esad de Strasbourg) en 1984, il n’a cessé de manifester pour cette activité une passion joyeuse et il rappelle souvent avec malice que l’école est un de ses ateliers.

Fuyant donc toute production d’objets susceptibles de n’être plus, en moins de temps qu’il ne faut pour les vendre, qu’un décor pour conversations mondaines, il ne produit plus, (à quelques exceptions près !) que de quoi penser sur place, des sortes d’objets de camping pour stationnements nomades et s’intéresse à “la pensée réseau”. Petits films video, dessins et photographies légères, mini-conférences, tracent les méandres d’une pensée-mouvement qui passe de relais en relais, de dispositifs en dispositifs, nous forme et se déforme au gré des intempéries de l’histoire, de “ses” histoires.

CV romancé, jeudi 23 août 2007

Olivier Grasser

Formé en Histoire de l’Art et à l’Ecole du Louvre, Olivier Grasser a travaillé dans des galeries d’art avant d’intégrer les équipes du Musée National d’Art Moderne / Centre Pompidou puis de la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris.Après une brève expérience au Frac Picardie, il a été en charge de 1999 à 2006 du département Art Contemporain de la Maison de la Culture d’Amiens, où il a été responsable de la programmation artistique, de la politique éditoriale et de la sensibilisation du public, et où il a développé des activités corollaires d’organisation de voyages et de séminaires.

Depuis septembre 2006, il occupe la direction du Frac Alsace à Sélestat.

« L’art a une fonction politique certaine, au sens de la participation de l’individu à la Cité. Je réfute ce lieu commun qui condamne l’art actuel en accusant les œuvres d’être hermétiques : à l’inverse de la passivité à laquelle tout nous invite aujourd’hui, c’est sur le mode d’une démarche active qu’il faut aborder les œuvres d’art. Elles sont toujours accessibles, si tant est qu’on les considère comme des moments de pensée à partager, qu’une parole d’accompagnement pourra ensuite toujours enrichir. »

Olivier Grasser ne nie pas qu’il y a une rupture entre l’art contemporain et les publics, mais il l’attribue « à l’absence d’une politique suivie d’éducation, à une absence de goût de l’aventure, collectivement comme individuellement, et à une attitude culturelle de sacralisation de l’art. On a oublié d’accepter et de prendre en compte que toute l’œuvre ne se résume pas à sa valeur symbolique. »

La prise de risque semble être pour lui, au cœur de la démarche artistique : « une œuvre se définit par sa capacité à interroger le monde d’aujourd’hui » et il donne aux artistes un rôle précieux et particulier : « L’artiste n’a pas un rôle politique au sens partisan, mais il doit affirmer et inviter à la conscience et au partage d’une responsabilité dans la société actuelle. Il n’y a plus de mouvements religieux, philosophiques, etc… dans le déferlement et la saturation actuelle des images, comment un individu peut-il prétendre à une quelconque liberté sans une conscience de lui-même et des enjeux profonds qui le relient au monde ? Dans quel champ peut-il encore faire un choix ? Pas vraiment dans les urnes ! Comment affirmer un choix d’être ? Comment affirmer une différence, se positionner, vivre avec les autres ? En valorisant des aspects personnels qui manifestent la conscience de soi. »

Hélène Mugnier

Diplômée de l’Ecole du Louvre et titulaire d’une maîtrise d’histoire, conférencière du Ministère de la Culture, Hélène Mugnier crée en 2005 HMC, son cabinet de conseil auprès des entreprises par le vecteur de l’art.

Elle publie en 2005 Art et Cie, pourquoi l’art est indispensable à l’entreprise et en 2007 Art et Management où elle montre comment l’art est devenu un outil clé pour le manager en permettant d’associer les acteurs de l’entreprise à un projet collectif. Dans ce dernier ouvrage, Hélène Mugnier présente les interactions croissantes et fructueuses entre l’art et l’entreprise et tente de mettre un terme au cliché tenace qui les oppose.

Motivation : Marie Bouts

ou Quelques questions sur l’utilité de l’art

A mesure que je la développe, j’éloigne volontairement ma pratique artistique des conditions et des lieux consacrés à l’art. Pour moi, être artiste, c’est avant tout exercer un métier, ce qui implique des objectifs et des savoir-faire spécifiques. Exerçant ce métier, je choisis de m’inscrire dans des systèmes autres qu’artistiques (quartier, ville, village, institution, groupe déterminé…), dans des contextes humains plus ou moins hétérogènes, de petite échelle, organisés autour de structures particulières.
Comment vivons-nous ensemble ? Selon quels codes ? Quels types de relations tissons-nous ? Quelles rapports de pouvoir mettons-nous en place ? Quelles histoires, quelle géographie nous racontons-nous pour asseoir une culture qui fonde, justifie et fait perdurer un système quel qu’il soit ?

Je m’attache à représenter ces systèmes, à en montrer les fonctionnements, les enjeux, les objectifs, les conditions, les contours, les échecs, etc. Je nomme ce travail d’observation et de restitution « géopolitique subjective ».
Le dessin, tel que je le pratique, donne à voir le monde de manière non scientifique et non objective. Je soutiens que cela est utile à l’humain : utile comme la poésie est utile. Utile comme la fantaisie est utile. Utile comme la remise en question est utile.

De plus, je suis attachée (depuis quelques années) à une utopie personnelle : la constitution, sur des projets définis, d’équipes hétérogènes rassemblant plusieurs corps de métiers DONT UN ARTISTE, dans le but d’atteindre un objectif commun.

Cet objectif commun concerne à la fois
- le processus (comment travailler ensemble en ayant chacun nos outils, nos points de vues, nos exigences, nos impasses, etc.)
- l’objet (ce que nous créons ensemble).

Pour moi, les enjeux d’une telle idée sont énormes : cela voudrait dire que le savoir technique, scientifique, économique, etc. ne serait plus le seul dépositaire du savoir-faire UTILE.

(En résumé : quand pourrai-je travailler, en tant qu’artiste, à la construction d’un barrage avec une équipe d’ingénieurs ?)

Paul Ardenne

Paul Ardenne est agrégé d’Histoire et Docteur en Histoire de l’Art, critique d’art et commissaire d’exposition français, dans le domaine de l’art contemporain. Il enseigne à l’Université d’Amiens. Il est l’un des spécialistes français les plus avertis de l’art d’aujourd’hui (esthétique, art vivant, architecture, art et politique).

Extrait
« Un art dit « contextuel » regroupe toutes les créations qui s’ancrent dans les circonstances et se révèlent soucieuses de « tisser avec » la réalité. Une réalité que l’artiste veut faire plus que représenter, ce qui l’amène à délaisser les formes classiques de représentation (peinture, sculpture, photographie ou vidéo, lorsqu’elles sont utilisées comme uniques formules d’exposition) pour leur préférer la mise en rapport directe et sans intermédiaire de l’œuvre et du réel. Pour l’artiste il s’agit bien de « tisser avec » le monde qui l’entoure, de même que les contextes tissent et retissent la réalité. Loin de n’être qu’une illustration et une mise en figure des choses, loin de ne parler que de lui-même dans une démarche tautologique, loin de faire de l’idéal sa religion, l’art s’incarne, enrichi au contact du monde tel qu’il va, nourri pour le pire ou le meilleur des circonstances qui font, défont, rendent palpable ou moins palpable l’histoire.[…] Ce souci de vigilance, on s’en doute, n’est pas de nature paranoïaque, au sens où l’artiste pourrait craindre d’être le jouet d’une situation. Une telle attention atteste plutôt d’une prise de position résolue. La réalité, dit l’artiste revenu de la tentation de l’idéal ou du formalisme, c’est aussi mon affaire »

in P. Ardenne, Un art contextuel, Flammarion, 2002, p. 17-18.

Motivation : Francis Guerrero

« Ancrage dans la réalité qui reste réelle dans l’œuvre.
Le travail d’un artiste dans un contexte donné, perd de son intérêt si ce contexte est déplacé pour être reproduit dans un cadre muséal. On ne peut plus parler alors de travail contextuel mais plutôt de reproduction réaliste d’une situation donnée.

Ici nous parlerons de travail circonstanciel, dans le sens où ce qui constitue l’œuvre c’est justement ce qui est en œuvre, ce qui se joue dans l’environnement du metteur en œuvre (celui qu’on nomme encore pour l’instant « artiste »).

Le contexte en tant que tel, comme condition de création, de diffusion et d’existence de l’œuvre.

L’œuvre dans un contexte n’est pas seule et occupe un espace partagé alors sa lecture est aussi multiple en fonction de l’intérêt des différents acteurs qui s’y confrontent.
Dans l’action contingente pour l’emploi des artistes Précaritas, annoncée comme œuvre, nous avons déjà pu constater qu’en fonction des interlocuteurs, différentes formes de regards et donc de discours se manifestaient (sociaux, sociologiques, politiques, esthétiques, militants, activistes, poétiques, a.n.p.e.tiques, informatiques, économiques…). Si c’est d’une part un gage du potentiel pédagogique de l’œuvre c’est aussi le rôle fondamental de toute œuvre qui doit pouvoir être appropriée par n’importe qui et à partir de son propre champ, son propre parcours, son expérience propre.

Alors l’art ne serait que l’art et paradoxalement ce serait pour ça qu’à côté d’autres disciplines il deviendrait médiant, endroit bancal des possibles et de l’impensé. »

Motivation : Delphine Rigaud

«Travailler en tant qu’artiste au sein d’une entreprise serait un moyen d’être en prise directe avec la « réalité » du monde du travail, mettre en résonance deux logiques de travail, celle de l’artiste et celle de l’entreprise, pour une finalité commune.

Pour mon travail en général, ce type de contexte me permettra de partir d’une réalité objective, indépendante de mon seul choix. Le caractère organisé et planifié du travail en entreprise m’intéresse et serait potentiellement une base de réflexion. La multiplicité des compétences réunies pour un but commun a déjà été traitée à l’occasion de la pièce «Génériques» que j’ai créée en 2006 et continue de m’occuper l’esprit.

Travailler dans une entreprise en tant qu’artiste : amener de l’art là où il n’y en a pas à priori, pour et avec l’entreprise, qui elle, fait ce choix d’ouverture.

Déplacer le travail quotidien des employés, pour ouvrir sur une dimension « poétique ou poétisée ». Montrer la part de poésie, le potentiel de création que comporte une fonction aussi pragmatique soit-elle en apparence.»

Créer de nouveaux contextes favorables à l’art

L’association Le Faubourg - créée en 1992 par une dizaine de plasticiens de l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg - a pour objet statutaire le soutien à la création contemporaine sous ses formes les plus expérimentales.

Comment soutenir l’art et les artistes ? L’association s’est donné successivement plusieurs moyens pour y parvenir :
- sous l’appellation «Le Faubourg, espace d’art contemporain», en organisant de multiples expositions qui ne trouvaient leur place ni dans des centres d’art publics ni dans des galeries privées ;
- sous le nom «Syndicat Potentiel Strasbourg» en soutenant des pratiques artistiques qui questionnent leur environnement quotidien, social ou économique ;

Composée et animée par des artistes, l’association se distingue en élargissant l’expérimentation jusqu’aux modes d’organisation, de financement et de médiation de l’art, en cherchant à dépasser les fonctionnements habituels du milieu de l’art. Ainsi, en 2007, l’action Précaritas a permis de salarier 5 artistes plasticiens pendant 9 mois grâce à des contrats aidés, avec le minimum de contraintes imposées.

Tous ces cheminements nous amènent aujourd’hui à soutenir et à encourager des pratiques artistiques qui se distinguent par le fait de choisir des organisations humaines (entreprises, administrations) comme cadre et support de production de l’œuvre, qu’elle soit matérielle ou immatérielle, objet ou processus.

Ainsi se précise la prochaine étape de «recherche de contextes et dispositifs pouvant accueillir l’art» : l’action OPA décrite dans ce dossier préfigure de nouvelles découvertes et pistes à suivre, tant pour le Syndicat potentiel, que pour les artistes associés ou invités et les publics.

Jean-François Mugnier
Coordinateur de l’association Le Faubourg

 

Lexique :

Le Faubourg : Nom de l’association crée en 1992 à Strasbourg, et par usage l’appellation du lieu d’exposition jusqu’en 2000/2001. Le nom provient de la localisation d’un premier local «rue du Faubourg de Pierre» à Strasbourg en 1992.

Syndicat Potentiel : Nom d’un projet artistique crée en 1999 par le collectif d’artistes Bureau d’études à Paris. Ce projet a ensuite redéfini les orientations de l’association Le Faubourg à partir de 2000/2001, sous le nom Syndicat Potentiel Strasbourg qui est aussi par usage l’appellation du lieu d’exposition à partir de 2000/2001. Le Syndicat Potentiel n’est pas un syndicat, n’a ni programme politique, ni adhérents.

Précaritas : Précaritas est une action artistique et contextuelle, destinée à des artistes en situation précaire (érémiste, allocataire spécifique de solidarité ou au chômage depuis longtemps); Le but suivi étant de leur permettre de poursuivre leur activité artistique principale en étant salariés. il ne s’agit pas de leur demander un travail différent de leur pratique habituelle, mais en contrepartie il srelatent chaque semaine sur le blog http://precaritas.free.fr leur fonctionnement au travers de ces 5 points de restitution : la Feuille de Présence, les Affaires en Cours, le Semainier, le Temps Libre, le Poste de Travail.